REVUE DE PRESSE BD & CARICATURE ZEBRA N°124

Clichés sur la caricature

Quelques clichés sur l’art de la caricature circulent, véhiculés parfois par de bons connaisseurs ; parmi eux : le rire est diabolique (Baudelaire) ; ou encore : les humoristes sont des personnes suicidaires (Wolinski) ; cela revient à confondre les humoristes avec des clowns ou des policiers, le plus souvent d’humeur morose.

On oublie que la vocation d’humoriste, pour les quelques cas de suicides avérés d’humoristes dignes de ce nom (roi du « stand up », Adolf Hitler avait le don de faire s’esclaffer son public allemand, mais celui-ci est plus près de la « grosse rigolade » que de l’humour), cette vocation s’enracine peut-être dans la dépression, plutôt qu’elle n’y mène.

La vocation d’un Cabu n’a rien à voir avec l’humeur atrabilaire, elle part de la colère.

Pour cette fois, on se contentera de dissiper le préjugé distillé par François Morel selon lequel « l’humour est un vin de garde ». F. Morel distille ce préjugé dans la préface d’un album de gags signés François Ravard, « Addictions » (éd. Fluide Glacial, 2024) : il oppose le dessin d’humour au « dessin de presse », qui serait, lui, « un vin de soif ». Entre parenthèses, on soupçonne François Morel d’être un bon poteau du Dr Patrick Pelloux, et vice-versa.

Le vocable « dessin de presse » ne veut strictement rien dire : il a été conçu par des journalistes pour coller aux caricaturiste l’étiquette d’illustrateur subordonné au caprice d’un rédacteur en chef. Les dessins de Daumier paraissaient dans la presse, comme ceux de Sempé ou de François Ravard.

Le dessin ou la caricature qui dure, par conséquent le vin de garde, c’est la caricature politique. On ne saurait plus qui est Daumier, s’il n’avait pas été un caricaturiste politique, dont l’antiparlementarisme a de quoi faire encore frémir la représentation nationale aujourd’hui : à quoi sert-elle, en effet, depuis que Cabu est mort ? A faire des crocs-en-jambe à Michel Barnier ? Si Caran-d’Ache a marqué les esprits, c’est en raison de quelques dessins politiques, le plus mémorable à propos de l’affaire Dreyfus. Il faut noter, d’ailleurs, que cette fameuse caricature de Caran-d’Ache n’est ni dreyfusarde, ni antidreyfusarde.

Le meilleur album de Cabu, « Revoir Paris » (ed. Arléa, 1996), est le plus politique : il parle de ce que Paris, qui fut naguère la capitale mondiale de l’art, est devenue après la guerre : le royaume du béton, où l’art n’a plus droit de cité, mais la publicité ; ce propos n’est ni de droite, ni de gauche, mais le constat d’une réalité politique.

Dans le genre un peu désuet pratiqué par F. Ravard (ou le « New-Yorker »), Voutch est le meilleur, car lui aussi le plus politique : il anticipe au moins d’une décennie le « best-seller » du sociologue américain David Graeber sur les « Bullshit jobs », pour ne pas dire qu’il rend le pavé de Graeber superflu.

Fresque murale extérieure (Paris) signée Charles Foussard.

Le chiendent du “street-art”

Le street-art pousse comme du chiendent ; comme les mauvaises herbes s’épanouissent dans les jardins mal entretenus, le street-art pousse dans les villes les plus capitalistes, les plus invivables : Sao Paulo, Buenos Aires, Manhattan… les villes qu’on aurait dû raser avant de les construire ; le graffiti c’est d’abord la signalétique des sauvages qui ont été parqués dans ces banlieues, le moins raffiné des hiéroglyphes.

Il y a quelques années, un de ces sauvages fut autorisé à faire une performance diurne dans mon quartier, dans un angle mort - un sauvage apprivoisé, en quelque sorte. On faisait cercle autour de lui, la plupart des fans étaient en larmes, certains étaient venus de l’étranger pour voir une bouse qu’il m’était impossible d’apprécier, ayant grandi dans une ville de province pas trop hideuse, où le graffiti est circonscrit aux chiottes publiques.

Les plus modestes des « street-artistes » disent : - ça vaut toujours mieux qu’un mur lépreux ! Eh bien non, pas forcément, le cache-misère peut être pire que la misère, comme le remède peut être pire que la maladie. Encourager le « street-art », c’est encourager la sauvagerie primitive des architectes qui bâtissent des villes théoriques pour y entasser esclaves et petits fonctionnaires.

Depuis que les pouvoirs publics encouragent le « street-art », il est encore plus horrible ; ce qu’il a perdu en sauvagerie, il l’a gagné en kitsch. Le kitsch consiste à en mettre plein la vue à des aveugles. Heureusement Cabu est mort assez tôt pour ne pas voir l’attentat visuel signé par Jo di Bona, déposé sur une muraille de Paris pour honorer sa mémoire.

Idéalement le « street-art » devrait introduire un peu de nature dans l’arithmétique sèche de l’architecture ultra-moderne ; parfois un simple monochrome suffirait, un bleu klein ou un vert islam ; en réalité, le résultat est le même que la chirurgie esthétique sur les actrices défraîchies.

Cas particulier, Bruxelles : cette capitale dont la variété architecturale fait le charme affiche sur ses murs le tempérament puéril de ses habitants, comme si le Manneken Pis n’était pas un message assez clair.

Dernière minute

Le Forum des images (Paris-Forum des Halles) propose un petit festival automnal qui permet de découvrir les nouveaux talents du cinéma d’animation et quelques talents mieux établis en avant-première. On est loin, ici, de l’industrie lourde japonaise, dont les produits bas-de-gamme furent diffusés en France à la fin des années 1980, et dont tous les connaisseurs du Japon savent qu’elle est une industrie américaine.

Caricatures fraîches par Tetsu (1913-2008), Krokus (“Siné-Mensuel”), Jacpé (“Facebook”), Patrick Blower (“The Daily Telegraph”) & Zombi (“Zébra”) :

par Testu.

par Krokus.

par JacPé.

par P. Blower.

par Zombi.