REVUE DE PRESSE BD & CARICATURE ZEBRA N°144

par F. Vallotton.

Centenaire de Vallotton

La critique considère les bois gravés de Félix Vallotton (1865-1925), dont on célèbrera en décembre le centenaire de la mort, comme le sommet de son art. Vallotton excelle comme son ami et confrère Alfred Jarry dans la peinture des masses subjuguées par la bourgeoisie industrielle de la fin du XIXe siècle – ici par un « Feu d’artifice ». On verra par suite au XXe siècle qu’il n’y a pas de populisme, sans que le peuple n’ait été auparavant réduit à une masse informe, tantôt passive, tantôt déferlant avec violence et rompant les digues par lesquelles on croyait pouvoir la contenir.

Histoire de la Prostitution en BD

La collection « La Petite Bédéthèque des Savoirs » (Le Lombard) se propose d’améliorer les connaissances du grand public sur des sujets aussi futiles que « Le Heavy Metal » ou « Le Tatouage ». Si le tatouage est un phénomène de société incontestable, est-il besoin de remonter à ses origines tribales pour comprendre que la mondialisation capitaliste stimule les comportements identitaires ?

Le thème de la prostitution est, lui, beaucoup plus sérieux. Rares sont les artistes, les romanciers, les dramaturges, à ne pas s’y être attardé, en particulier les auteurs satiriques. Le courant impressionniste a fait de la prostituée son principal sujet ; la passion du peintre E. Degas pour les danseuses prépubères n’est pas très « #meeto » : le tutu n’était alors qu’une couverture pour la prostitution, comme le montre Forain avec moins de poésie que Degas, mais plus de réalisme.

La 4e de couverture énonce que « De nos jours, dans la plupart des pays du monde, la prostitution est majoritairement perçue de façon négative. » ; disons immédiatement pourquoi : le socialisme s’oppose nécessairement à la prostitution, qu’il ne peut manquer d’assimiler, comme le salariat, à une forme d’esclavage. La loi « Marthe Richard », du nom de sa porte-parole, imposant la fermeture des bordels en France, en 1946, est une loi « socialiste » ; de surcroît les maisons closes avaient la réputation, à la Libération, d’avoir abrité les turpitudes des officiers allemands.

Par ailleurs la société de consommation est une société puritaine : le parti démocrate américain a inventé au XXe siècle le « mariage gay », aux antipodes du socialisme de Charles Fourier ; celui-ci imputait le fléau de la prostitution, qui avait pris à Paris des proportions industrielles (d’où son surnom de « ville de l’amour »)… au mariage bourgeois. Si Fourier voit juste, le mariage gay devrait avoir pour conséquence de stimuler la prostitution masculine, en particulier dans les pays du tiers-monde. C’est d’ailleurs sous l’influence de Fourier que le romancier à succès M. Houellebecq a décrit le tourisme sexuel en Asie comme la rançon du féminisme puritain.

Si M. Houellebecq avait lu l’Histoire de la prostitution en BD, il saurait qu’elle ne fut jamais aussi bien ni plus durablement installée en Europe qu’en Espagne, en raison de la tolérance conjointe des théologiens musulmans et catholiques vis-à-vis de la prostitution et des prostituées.

Impossible d’extraire la prostitution, à partir du XXe siècle, du contexte de la société de consommation puritaine. Le b.a.-ba de la publicité commerciale est de rentre désirable ce qui est interdit, et le truc fonctionne d’autant mieux sur un public puritain.

Si ce petit « Que sais-je ? » par Laurent de Sutter et Agnès Maupré n’est pas toujours cohérent, il fournit des détails instructifs et parfois amusants : le Japon, suivant sa propension à transformer tous les plaisirs de la vie en rituels ennuyeux (y compris la BD), avait fait de la prostitution un rituel d’une sophistication extrême.

Le comparatif entre la prostitution à Babylone (supposée), en Grèce et à Rome montre qu’elle est instituée dans ces trois civilisations antiques comme une sorte de parade contre l’adultère, plus néfaste socialement que des débordements encadrés. Cependant la prostitution prit à Rome des proportions inquiétantes, qui valurent aux maquerelles supervisant ce commerce de la chair les critiques des auteurs satiriques Térence et Plaute. Les jeune veuves romaines se faisaient même souvent enregistrer comme « prostituées » pour bénéficier du statut d’indépendance des prostituées, et n’être pas contraintes de se remarier.

D’une manière générale, le port du voile, interdit aux femmes publiques, était avant l’ère chrétienne l’apanage des femmes mariées, par conséquent une marque de respectabilité. Le Moyen-Âge, sous la double influence de l’Antiquité païenne et de la théologie catholique, oscilla entre la tolérance et des périodes de prohibition. L’encadrement de la prostitution, activité particulièrement lucrative, par les pouvoirs publics et religieux, n’était pas rare.

Enfermé à Belle-Île

Au touriste de passage au mois de juillet, Belle-Île semble un petit bout de paradis flottant entre ciel et mer. Les indigènes savent mieux que la rigueur du climat dès l’automne peut transformer cette île bretonne en enfer. Rien d’étonnant, donc, à ce que l’on ait installé un bagne pour enfants à Belle-Île au début du siècle dernier. En Angleterre, la tradition d’enfermer dans des navires désaffectés les jeunes délinquants persiste. Qui sait si la vue sur la ligne d’horizon ne stimule pas leur désir d’évasion ?

Le jeune Malouin (natif de St-Malo) dont la brève existence, qui s’acheva tristement, est racontée dans cette bande dessinée à partir de documents d’archives, mérita la prison avec ses deux complices par le vol d’un long câble de pêche dans le port de sa ville natale ; il n’avait que treize ans. La peine de prison qui lui fut infligée n’était pas seulement une punition : la maison de « redressement » ou de « correction » est conçue pour ramener dans le droit chemin les jeunes garçons mal élevés. Le travail, cela n’étonnera personne, est le principal moyen de rédemption. Comme notre jeune antihéros – Réto – avait déjà effectué une saison de pêche en haute mer, on s’efforça donc d’abord d’en faire un marin. La mer, d’ailleurs, n’effraie pas le jeune garçon, mais il est incapable de se plier à une quelconque discipline. Sa mort au bagne de Belle-Île, où les châtiments corporels avaient cours, sera rapportée par la presse et scandalisera brièvement l’opinion publique (en 1911).

En 2025, quoi que le principe soit celui de la liberté surveillée pour les mineurs, une cinquantaine d’entre eux est sous les verrous en France en raison de la violence exceptionnelle de leurs crimes. « 17 Piges, récit d’une année en prison » par I. Dautresme et Bast (éd. Futuropolis), BD parue il y a quelques années, fournit un point de comparaison en se penchant sur la cas d’un mineur accusé de viol.

Plus de châtiments corporels, certes – du moins officiellement, mais le redressement de jeunes arbustes qui ont poussé de travers sans tuteurs reste, un siècle plus tard, une gageure. Aujourd’hui le sort des animaux sauvages enfermés dans des zoos émeut plus l’opinion publique que celui des jeunes délinquants. Les services de la protection judiciaire de la jeunesse manqueraient de personnel, dit-on… c’est quand même un comble dans un pays où l’on peut mobiliser des dizaines de milliers de policiers pour assurer la sécurité des Jeux olympiques, mais aussi du Tour de France, de la Ligue de football, de rugby… La frontière entre le service public et le service publicitaire gagnerait à être tracée de nouveau.

(“Enfermé à Belle-Île”, par Julien Hillion et Renan Coquin (!), éd. Dargaud, 2025.)

Caricatures fraîches, par Dave Brown (“The Independent”), Sanaga (“Facebook”), Morten Morland (“The Times”), Placid (“Facebook”), Mougey (“Le Canard enchaîné”) & Zombi (“Zébra”) :

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