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REVUE DE PRESSE BD & CARICATURE ZEBRA N°131
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par Gus Bofa (“La Baïonnette”, 1917)
La caricature patriotarde
Les guerres du XXe siècle ont provoqué de nombreuses vocations de caricaturistes, en particulier chez des soldats ayant fait le voyage au bout de la nuit.
Hélas la guerre a aussi pour effet de rendre « patriotards » des caricaturistes et des auteurs satiriques qui ne l’étaient pas a priori, suivant les explications d’Yves Frémion dans son bouquin sur l’histoire de la caricature, de son âge d’or jusqu’à « Charlie-Hebdo » (éd. Glénat, 2024).
Son chapitre sur la métamorphose de l’auteur satirique en propagandiste est le chapitre pivot : il permet de faire la lumière sur le déclin de la satire en soulignant le rôle des guerres mondiales dans ce déclin simultané de la caricature et la liberté de la presse. « Charlie-Hebdo » est « l’arbre qui cache la forêt ».
Y. Frémion déconstruit ici quelque peu la mythomanie des valeurs républicaines protectrices de la liberté d’expression. Plus honnêtement que d’autres, l’universitaire D. Moncond’huy (Poitiers) explique dans sa « Petite histoire de la caricature de presse » (p.140) que l’âge d’or de la caricature sous la IIIe République coïncide avec la faiblesse des institutions républicaines ; la république s’est ultérieurement renforcée contre la caricature.
Le réveil de la Guerre froide aux portes de l’Europe ravive l’intérêt de ce chapitre, dont nous donnons ici un extrait :
La dictature du dessin patriotard
“La déclaration de la Première guerre mondiale brise tout élan culturel en Europe. Mais la décadence intellectuelle et politique en France commence avant. Les grandes revues insolentes ont disparu ou succombent aux menaces et censures. Le nationalisme s’est exacerbé, au point que de grandes figures pacifistes retournent leur veste de façon spectaculaire. Gustave Hervé en tête. L’assassinat du principal adversaire de la guerre, Jean Jaurès, fait basculer les hésitants. C’est « l’Union sacrée », les socialistes oublient leurs fameux congrès pacifistes de Zimmerwald et Kienthal, où ils réclamaient la « paix immédiate » et souhaitaient la défaite de l’armée française en cas de guerre. En quelques semaines, tout discours pacifiste est assimilé à une trahison. Ceux qui ne suivent pas le troupeaux doivent se taire ou se cacher.
La guerre déchaîne une forte demande en dessins politiques, les journaux qui n’en avaient pas en prennent, ceux qui en avaient peu, comme L’Humanité, s’y mettent, d’autres revues se créent autour du dessin. Bien peu de dessinateurs de presse éviteront l’entonnoir militariste. Il y aura bien sûr Le Canard enchaîné, à partir de septembre 1915 (…), mais il reste l’exception. Beaucoup de journaux disparaissent, mais d’autres naissent, notamment des feuilles de chou éphémères et des journaux de tranchées. Jamais il n’y eut autant de titres, importants ou non. A l’arrière aussi, des dessinateurs marquent des titres : Louis Berrings, Le Pays de France, Alain Saint-Ogan (dont le frère est tué au combat) Le Front ou L’Anti-Boche, H.P. Gassier, La Griffe, Forain Le Figaro, Poulbot Le Journal, Léandre Je sais tout, et Paul Iribe lance Le Mot, sans oublier Nos Poilus (Camara, Métivet). (…)
Ce patriotisme forcené a tout envahi, dans un bourrage de crâne généralisé où participent de grands supports de droite comme L’Illustration, Le Drapeau (organe de la Ligue des Patriotes) ou L’Illustré national (« Bien haïr le Boche est le commencement de la sagesse ») – comme de gauche, y compris L’Humanité (« A chaque Parisien son Boche ! »). Le Rire rouge affiche : « Les maîtres du dessin et de la satire vont exalter l’héroïsme du soldat français et marquer au fer rouge l’abject et le grotesque Guillaume II ».(…)
Racisme, désinformation, complaisance pour les bobards diffusés par l’Etat-major sont repris par la presse. Même les moins bellicistes reproduisent les images antiboches les plus douteuses (…)”
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caricature par Waner (“Siné-Mensuel”)
Caricaturistes de tous les pays…
“L’Humanité” (magazine - 26 déc.-4 janv.) a publié le témoignage de ses caricaturistes “maison” Camille Besse, Soph’, Pascal Gros et Bobika sur leur métier, qu’ils qualifient de “précaire” ; il est menacé par le dédain grandissant des Français vis-à-vis de la presse, en particulier de la jeune génération. Il est tentant d’accuser les réseaux sociaux, pour ne pas dire que c’est une manie ; pas un instant on ne se demandera si la presse n’est pas devenue insipide ?
Selon Bobika, la caricature ”est un outil carnavalesque, qui inverse le rapport de domination”. C’est un joli lapsus de parler de “carnaval” dans une publication connue pour prôner plutôt la “révolution”.
Plus sérieusement, jeunes caricaturistes (et moins jeunes) se montrent rarement conscients que “Charlie-Hebdo” défia à la fin des années 60 les codes d’une presse largement “américanisée”, c’est-à-dire asservie aux partis politiques. La contre-culture de “Charlie-Hebdo” est morte en 1982.
Ici on doit contredire Y. Frémion ; il attribue dans son “Histoire de la Caricature” à un caricaturiste “de droite” (?), Jehan Sennep (actif entre les deux guerres), la métamorphose du caricaturiste en journaliste, alors qu’il était auparavant un artiste. Il fait erreur en ce qui concerne “Hara-Kiri”, c’est-à-dire le “Charlie-Hebdo” de Cavanna et du Pr Choron, en le situant dans cette nouvelle tradition. Celui-ci est beaucoup plus proche du “Canard Sauvage” d’Alfred Jarry, dont l’éditorial de lancement (1903) préfigure l’intention de Cavanna de créer un journal surtout pas comme les autres.
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La dernière nuit de Mussolini
Après Staline, Hitler, Ronald Reagan, Vladimir Poutine, Kim Jong Un… c’est au tour de Mussolini d’être raconté dans un « biopic ». L’angle biographique n’a pas la pertinence de la description du totalitarisme par Orwell, pour qui la personnalité du despote est secondaire. Le culte de la personnalité est bien plus révélateur de la fausse démocratie. Non loin d’Orwell, Hannah Arendt compare la structure du régime totalitaire à un oignon.
« La dernière nuit de Mussolini » retrace le parcours politique de Benito Mussolini, né dans le Nord de l’Italie (Emilie-Romagne) en 1883 dans un milieu modeste très anticlérical. La BD de Jean-Charles Chapuzet et Christophe Girard montre un Benito chouchouté par sa mère, institutrice, qui va le pousser à devenir un intellectuel socialiste défenseur de la cause du peuple, instituteur brièvement comme elle, puis journaliste. Comment un défenseur de la cause socialiste a-t-il pu fonder le parti populiste fasciste ? Réponse de la bande dessinée, ou du moins suggestion : par goût de l’aventure et de la violence. Ainsi on voit Mussolini multiplier les conquêtes féminines ; il entraînera avec lui jusque dans sa chute sa maîtresse la ravissante Clara Petacci, éprise jusqu’à la folie du Duce. Les cadavres du dictateur déchu et ses proches subirent l’outrage d’être pendus par les pieds. De façon plus moderne, le dictateur socialiste roumain Ceaucescu sera abattu avec son épouse, et les images de leur exécution diffusées en direct à la télévision.
Mussolini fut d’ailleurs évincé du parti socialiste en raison de son soutien à la Triple-Entente anglo-franco-russe au début de la guerre 1914-18. Son revirement sera donc complet, puisque dirigeant l’Italie, il la rangera derrière le IIIe Reich allemand. Cependant les historiens font valoir que les alliances se formèrent, lors du second conflit comme lors du premier, largement en fonction des appétits coloniaux des principales puissances, Royaume-Uni et France voulant préserver leurs empires de l’appétit d’ogre de la première puissance industrielle.
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illu. par André Rouveyre.
Erratum
Un lecteur nous a signalé cette grosse bourde, commise dans la précédente édition de cette revue de presse (n°129) : le temple d’Artémis, incendié au IVe siècle avant notre ère par Erostrate ne se situe pas à Delphes, dans le centre de la Grèce, comme nous l’avions malencontreusement écrit, mais à Ephèse dans l’actuelle Turquie. Les hellénistes auront rectifié d’eux-mêmes.
On note que Shakespeare évoque Ephèse et le culte rendu à Artémis dans son « Périclès », pièce où il défie Homère sur son propre terrain. Cette fois le héros n’est pas sous la protection d’Athéna, comme Ulysse, mais sous celle d’Artémis, déesse de la chasse, mais aussi de la chasteté ; en effet la reine Elisabeth Ire , célibataire endurcie, était surnommée « la reine vierge » ; cette souveraine qui posa les bases de la nation anglaise à la fin du XVIe siècle tirait un argument théologique de son célibat, afin de contrer la propagande du saint Empire romain germanique, présentant l’évêque de Rome comme rien moins que « le vicaire du Christ ».
Les Français qui croient l’eschatologie chrétienne démodée se trompent ; B. Nétanyahou et Donald Trump sont là pour leur rappeler de façon tonitruante à quel point la politique moderne repose sur des mystères.
…
Par ailleurs la précision qui suit est peut-être utile à propos de la présentation d’Apollinaire par le critique d’art W. Benjamin comme un pionnier du surréalisme…
Selon Benjamin, Apollinaire n’a pas inventé à proprement parler le surréalisme, mais on trouve dans « Le Poète assassiné » (1916) une intention analogue à celle des surréalistes, de ressusciter l’art contre le philistinisme de la bourgeoisie.
André Breton lui-même se réclamait de quelques poètes précurseurs ; plus nettement encore que la poésie d’Apollinaire, la « pataphysique » d’Alfred Jarry recèle une ambition analogue à celle des surréalistes. La seconde guerre mondiale porta un coup fatal au « surréalisme », en particulier à son effort pour produire un « art socialiste », c’est-à-dire pour jeter un pont entre les artistes et le prolétariat. L’URSS, dont certains poètes surréalistes se rendront complices (W. Benjamin meurt dans sa fuite en 1940), procèdera comme le fascisme en substituant la propagande à la poésie, loin de « dynamiter l’inconscient » suivant le vœu de Benjamin (exprimé dans « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique »).
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Caricatures fraîches par Ignace (“Twitter”), Mykaïa (“Twitter”), Fyd (“Facebook”), Schvartz (“Facebook”), Banx (“Financial Times”) & Zombi (“Zébra”) :
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par Ignace.
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par Mykaïa.
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par Fyd.
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par Schvartz.
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par Banx.
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par Zombi.
Le fanzine Zébra du mois de février est paru (sur abonnement ou gratuit par e-mail en écrivant à [email protected])
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