REVUE DE PRESSE BD & CARICATURE ZEBRA N°129

Une du Télégramme de Brest par Deligne (7 janv.)

Hommage ubuesque

L’histoire de « Hara-Kiri » a commencé par la satire des laquais du pouvoir gaulliste, elle se termine par le défilé en fanfare des laquais du pouvoir macroniste massés derrière l’étendard de « Charlie-Hebdo ». Les martyrs ont toujours le dos large, quelle que soit la religion.

Deligne, caricaturiste un peu partout, se dessine en héros échappant aux hachoirs et aux cimeterres des Sarrasins, en Une du « Télégramme de Brest ». Quelle audace !

Le caricaturiste rectifie le trait à l’intérieur de son canard parfaitement lisse : “Je n’ai pas l’impression d’être particulièrement visé. Il y a eu cet attentat, comme il y a eu, la même année, des gens visés à la terrasse des cafés. C’est dramatique mais je ne pense pas qu’il y ait une fatwa sur tous les dessinateurs. Je ne ressens pas de sentiment de menace.”

Comme les frères Kouachi ont été éliminés par le GIGN, ils n’ont pas pu être interrogés et leur mobile reste flou. Visaient-ils Charb en particulier, comme certains témoins l’ont affirmé, et pourquoi ? (ce dernier n’avait pas participé à la fameuse Une conçue par Cabu, Caroline Fourest et Philippe Val, qui avaient pris soin de ne pas blasphémer, contrairement aux caricaturistes danois du “Jylland Postens”, dont l’intention était blasphématoire/provocatrice et non satirique).

par Nono (in : “Le Télégramme”.

Charlie recteur d’académie

Le dessin de Nono, dans le même quotidien, est plus subtil, quoi que contestable lui aussi. Il dessine Charlie-Hebdo dans le prolongement de l’Education nationale (ou l’inverse). Dans le quotidien concurrent, “Ouest-France”, premier quotidien de France par le tirage, le caricaturiste Chaunu dessina il y a dix ans la bande de « Charlie-Hebdo » accueillie au paradis par… Charles de Gaulle  ; l’âge des lecteurs de la PQR autorise ce genre d’approximation…

«  Charlie-Hebdo  » dans la continuité de l’Education nationale ? A partir de Charb, peut-être... Mais Cabu était quand même assez conscient qu’en France, de la caserne à l’hôpital, en passant par l’école primaire et secondaire, tout marche sur le modèle de la caserne. L’architecture républicaine est assez éloquente. Les hussards rouges ont succédé aux hussards noirs, avant de céder eux-mêmes le pas face aux hussards roses après “Mai 68”, mais les codes qui régissent l’institution scolaire n’ont pas fondamentalement changé. Le collégien français musulman a intérêt à savoir que le prof a toujours raison, et non le prophète, y compris quand le prof ne respecte pas son propre règlement. L’Etat-major français a toujours envoyé les troufions au charbon, et les recteurs d’académie font la même chose.

par Biche.

“Charlie-Hebdo” contre Twitter

Contrairement au conseil municipal de Paris qui a annoncé boycotter dorénavant le réseau social Twitter pour cause « d’instrumentalisation politique » (sic), « Charlie-Hebdo » préfère s’y maintenir pour y caricaturer son nouveau propriétaire Elon Musk, qui l’a racheté et rebaptisé X pour faire campagne en faveur du candidat républicain Ron de Santis, puis de Donald Trump, sorti vainqueur de la primaire de son parti. Le refus du gouverneur de Santis de confiner la Floride lors de la pandémie avait tapé dans l’œil de Musk, dépité de devoir mettre ses usines automobiles à l’arrêt.

Le conseil municipal de Paris ferait bien de dire quel média français n’est pas « politiquement instrumentalisé » ? Le bulletin municipal de la mairie de Paris (auquel Cabu collabora) ne l’est-il pas un peu lui-même ?

La publication de caricatures d’Elon Musk sur Twitter n’a pas cessé depuis son achat du réseau social. Les caricatures dérangent peu les politiciens : les caricatures d’Erdogan par “Charlie-Hebdo” furent même une véritable aubaine pour le président turc ; elles ne firent que renforcer la conviction des électeurs d’Erdogan que la France méprise les Turcs, leur religion et leur président. Ce qui dérange les politiciens, de droite comme de gauche, ce sont les révélations d’affaires sordides dans lesquelles ils ont trempé. C’est pourquoi les réseaux sociaux Twitter et Facebook étaient sous la surveillance des services secrets américains lors de la campagne de 2016, sous prétexte de lutter contre le terrorisme et l’ingérence russe. Donald Trump n’a eu aucun mal à jouer les martyrs de la liberté d’expression auprès d’un électorat américain excédé plus d’un demi-siècle de désinformation.

Le Crétin qui a gagné la Guerre froide

On sait depuis l’invasion de la Crimée par la Russie de V. Poutine en 2014 que Ronald Reagan n’a pas gagné la Guerre froide, mais seulement une bataille ; elle consista à entraîner l’URSS sur le terrain de la course aux armements, qui finit par déstabiliser son armée, engluée par ailleurs dans la guerre d’Afghanistan.

Jean-Yves Le Naour, au scénario de “Le Crétin qui a gagné la Guerre froide” (éd. Bamboo, 2024), esquisse un parallèle entre Ronald Reagan et le nouveau président des Etats-Unis, Donald Trump, près de 40 ans plus tard. Les technocrates imbus d’eux-mêmes qui font les candidats, leurs campagnes, leurs discours et leurs programmes, ne donnaient pas cher de Ronald Reagan face à Jimmy Carter, comme ils ne donnaient pas cher de Donald Trump face à Hillary Clinton. Reagan s’avéra un démagogue hors pair, maîtrisant mieux les outils de communication modernes que n’importe quel diplômé de Sciences-po. La démocratie libérale contemporaine fait d’abord appel aux sentiments des électeurs. Dans un style plus « caressant », Barack Obama sut se montrer tout aussi habile.

L’ignorance des foules de ce qui se trame en coulisse est un aspect essentiel de la Guerre froide, que cette bande dessinée met en avant. Avant de devenir l’ennemi public n°1, Ben Laden fut un acteur de la Guerre froide au service des Etats-Unis. C’est ici la première cause du complotisme aux Etats-Unis, dont Donald Trump a su habilement faire un argument électoral.

Jean-Yves le Naour montre aussi la vassalisation des leaders politiques européens vis-à-vis des Etats-Unis, en particulier vis-à-vis du dollar hégémonique.

La victoire économico-diplomatique des Etats-Unis de Reagan fut facilitée par le déclin de l’organisation soviétique, amorcé avant le premier mandat de Reagan. Les Etats-Unis de Trump font face à une Russie qui s’est redressée économiquement entretemps, ainsi qu’à de nouveaux empires, la Chine et l’Inde, qui guettent le premier faux pas du N°1 mondial.

On peut faire le reproche à cette BD de montrer la Guerre froide comme un simple jeu d’échecs, en occultant que l’affrontement indirect entre les grandes puissances mondiales est d’une extrême violence, tant sur le plan économique que sur le terrain militaire, une violence qui incite à la haine les populations qui subissent de plein fouet cette violence « occidentale ».

Quelques caricatures fraîches par Kurt (“Nord-Littoral”), Delestre (“Facebook”), Truant (“Twitter”), Chappatte (“Der Spiegel”), Micaël (“Marianne”) & Zombi (“Zébra”) :

par Kurt.

par Delestre.

par Truant.

par Chappatte.

- Celui-là je vais en faire mon chef du protocole !

par Micaël.

Le fanzine Zébra du mois de janvier est paru !