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REVUE DE PRESSE BD & CARICATURE ZEBRA N°123
Eloge de la folie
Dans le magazine « Beaux-Arts » (octobre 2024), Daphné Bétard présente l’exposition que le Louvre consacre à la rencontre de la folie et de l’art (du 16 oct. au 3 février) :
« Elisabeth-Antoine König et Pierre-Yves Le Pogam sont les commissaires de cette proposition pléthorique qui fait souffler un vent de folie sur la vénérable institution où ils sont conservateurs. »
« Proposition pléthorique » est un euphémisme pour dire que cette exposition est complètement foutraque ; le commentaire des commissaires est confus, pour le moins, comme contaminé par le sujet.
L’article de D. Bétard initie assez bien le lecteur à cet « éloge de la folie » un peu mystérieux, qui accompagne au cours de la Renaissance la laïcisation du discours religieux, qui passe par une littérature et un art anticonformiste, qui se développe surtout dans le Nord de l’Europe. D. Bétard cite Sébastien Brant, auteur de « La Nef des Fous » (1494) : « C’est le miroir des fous dans lequel chacun peut se reconnaître. Celui qui s’y mire convenablement comprendra qu’il aurait tort de se prendre pour un sage, car il verra son vrai visage. »
Quelques années plus tard (1509), à l’orée du XVIe siècle, « L’Eloge de la Folie » d’Erasme de Rotterdam sera, plus nettement encore, le point de départ d’une révolution religieuse, et donc culturelle ; elle aura des répercussions sur le plan littéraire aussi bien qu’artistique… La virulence anticléricale d’Erasme (lui-même clerc), s’accompagne d’un discours théologique qui ne remet pas seulement en cause le rôle du clergé et des théologiens, mais la notion même de péché, communément répandue au Moyen Âge.
S’appuyant sur des notions vagues, creuses, qui tournent parfois à l’assertion gratuite, la présentation des commissaires de l’expo. du Louvre ne permet pas de comprendre cette rupture : la folie devient l’emblème de la condition humaine, tandis qu’elle restait contenue dans les marges au Moyen Âge, envisagée comme une sorte de malédiction de la Providence. La théologie par l’image de Jérôme Bosch n’a rien de conventionnel. Erasme fait une théorie de la possession générale de l’humanité, qui sera largement reprise par Shakespeare (la version de Sh. inclut notoirement l’amour dans la folie) : la morale médiévale est ainsi discréditée par Erasme, bien plus encore que par Luther et Calvin.
Baudelaire l’avait-il compris ? Son essai sur le « rire diabolique » suggère que non (Baudelaire est un moderne, logiquement nostalgique du Moyen Âge).
« Emblématique de cette époque de rupture, si semblable à la nôtre [?], le fou est devenu, grâce au développement phénoménal de la gravure, puis de l’imprimerie qui permettent la diffusion des idées et d’une culture commune, la figure clé de ce passage aux temps modernes [?]. »
On a ici un exemple d’assertion gratuite, dont la présentation est émaillée. En quoi notre époque est-elle une époque de rupture et non une époque de conformisme et de sclérose, ainsi que le suggérait « Mai 68 » il y a plus de cinquante ans ? C’est peu de dire que la « société du spectacle » a progressé au cours de cette période.
Quant à la notion de « passage aux temps modernes », elle relève plus de l’incantation que de l’Histoire – le dernier c. qui a parlé est le plus moderne.
La contre-culture d’Erasme n’est pas devenue la culture occidentale dominante, selon un préjugé répandu. Le succès de la psychanalyse en Europe de l’Est en est la meilleure preuve : la psychanalyse revient en effet au discours médiéval sur la folie : bien que l’homosexualité ne soit pas taxée de « péché » par S. Freud, elle est qualifiée de « déviance » ou de « maladie », ce qui revient à peu près au même. Max Weber avait reconnu dans la confession psychanalytique le dispositif sacramentel médiéval.
Si André Breton avait été plus catholique, il aurait sans doute été moins fasciné par la psychanalyse, et on aurait évité ainsi les devinettes et les rébus surréalistes.
D’une manière générale, la psychiatrie positiviste de la fin du XIXe siècle, marquée par l’idée de déterminisme biologique, renoue avec une idée médiévale de la folie et du carnaval comme exutoire. Selon Erasme, tous les hommes sans exception sont dévorés par le démon de la chair, vice auquel il donne le nom savant de '“philautie” - non seulement les fous au sens clinique, mais aussi le clergé, le pape, les rois, les médecins, les savants…
« Comme toutes les religions, le christianisme a compris que le renversement des valeurs était à la base de la quête du salut et que la « folie » était donc une voie non pas accessoire, mais nécessaire pour atteindre à la sainteté. », écrivent encore les commissaires.
La proposition est ici quasiment ésotérique ; on se demande ce que peut bien vouloir dire « comme toutes les religions » ? Pourrait-on calculer le PGCD des religions ? Nos commissaires semblent ici inventer de toutes pièces un christianisme dont Emmanuel Macron, plutôt que Jésus-Christ, serait le représentant sur terre.
La pièce manquante
Shakespeare inspire même des scénarios de bande dessinée. « La Pièce manquante » par Jean Harambat (éd. Dargaud, 2023) brode en effet autour du thème d’une pièce de Shakespeare, dont le livret aurait été perdu ; il semble que cette pièce a été jouée à la cour du roi Jacques Ier.
Il y a de quoi fantasmer (la bd fait plus de cent-cinquante pages), puisque la pièce a pour titre le nom d’un personnage secondaire de « Don Quichotte », Cardenio. Sh. fut lecteur de Cervantès, son contemporain, et non l’inverse. Comme Cervantès, le tragédien britannique a beaucoup contribué à démoder le genre épique, encore apprécié au début du XVIIe siècle.
Jean Harambat, qui s’est inspiré de divers essais sur Shakespeare et Cervantès, montre que Don Quichotte et Falstaff sont cousins. Falstaff est postérieur mais n’est pas un plagiat, car pas un personnage d’imbécile qui vit dans ses rêves, contrairement à l’hidalgo castillan (Falstaff est aussi rabelaisien).
Le scénario de J. Harambat est un peu débridé, puisqu’il fait de David Garrick (1717-1779), le célèbre acteur d’origine française, qui relança le théâtre de Shakespeare au XVIIIe siècle, après l’éclipse due à la révolution, l’un des personnages principaux de cette chasse au trésor littéraire – ainsi que Peg Woffington, une actrice irlandaise ; cette dernière était tombée dans l’oubli contrairement à Garrick car… elle ne joua jamais du Shakespeare.
J. Harambat présente comme un progrès l’autorisation obtenue par les femmes d’interpréter des rôles au théâtre à partir du XVIIIe siècle. Outre que le progrès est discutable sur le plan strictement théâtral (Sh. souligne que tout n’est qu’illusion au théâtre, y compris l’identité sexuelle), il ne faut pas oublier que cette autorisation des femmes va de pair avec les abus sexuels et viols qui sont monnaie courante depuis, dans le milieu du théâtre comme dans le milieu du cinéma.
Les femmes pouvaient aussi bien interpréter des rôles d’hommes, au XVIIIe siècle, ce que Peg Woffington fit souvent : c’était pour lui faire porter des pantalons (moulants) et que le public masculin puisse ainsi se rincer l’œil.
par F. Vallotton.
Vallotton pas mort !
La caricature ci-dessus du nouveau Garde des Sceaux Didier Migaud par Félix Vallotton prouve que, contrairement à ce qu’on enseigne en cours d’Education civique, « l’antiparlementarisme » n’est nullement une spécialité de l’extrême-droite. Vallotton (1865-1925) était « anarchiste », ce qui signifiait en son temps à peu près « opposé à la République bourgeoise ».
L’Histoire s’oppose décidément à l’Education civique, matière à peu près aussi sérieuse que le droit international des nations.
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