REVUE DE PRESSE BD & CARICATURE ZEBRA N°132

Enluminure médiévale de l’Apocalypse - Saint Michel combattant le dragon (Ap. 12-7).

Apocalypse now

La Bibliothèque nationale de France F. Mitterrand (Paris 13e ) a réuni pour une exposition de nombreuses œuvres anciennes et contemporaines sur le thème de l’Apocalypse, rappelant ainsi que c’est un thème à la fois très ancien et très actuel, même si, comme le rappelle l’historienne Charlotte Denoël, « L’Apocalypse de Jean n’a jamais été comprise autrement des médiévaux que comme une révélation [suivant l’étymologie du mot grec], bien loin de l’acception contemporaine du terme que nos sociétés associent systématiquement à la notion de catastrophe. »

Le thème ce cette expo. n’est pas sans rapport avec la caricature, puisque l’Eglise luthérienne réformée combattit l’Eglise romaine à l’aide de pamphlets imprimés et illustrés par des artistes (dont Lucas Cranach est le plus célèbre), représentant l’Eglise romaine sous les traits de « la grande prostituée » de l’Apocalypse. En contrepoint, l’apôtre visionnaire, Jean, a la vision d’une femme pure, dont la tête est couronnée de douze étoiles : ce symbole a été repris par les fondateurs démocrates-chrétiens du projet d’union européenne.

Cet usage polémique de la chose imprimée et illustrée fut d’abord luthérien et calviniste, avant de se répandre avec l’alphabétisation dans toute l’Europe et de soutenir des causes très variées, y compris la cause catholique bien sûr.

Les monstres terrifiants et symboliques sont aussi présents dans les prophéties juives et dans « L’Odyssée » d’Homère ; l’Apocalypse n’en a pas le monopole. La fin du monde était déjà annoncée par le prophète juif Daniel, interprétant le songe du roi de Babylone Nabuchodonor, bien avant que le Christ et ses apôtres n’effectuent une « piqûre de rappel ». Antéchrist autoproclamé, Frédéric Nietzsche opposera à la fin du XIXe siècle à la prédiction chrétienne de la fin du monde, sa doctrine néo-païenne de « l’éternel retour » (reprise de façon très superficielle par le régime nazi, trouvant surtout dans le néo-paganisme une dérivatif au communisme).

Une exposition plus dialectique aurait été souhaitable, soulignant la place originale de l’Apocalypse dans la culture occidentale, surgissant souvent là où on ne l’attend pas, comme dans une toile du peintre communard franco-suisse Théophile Steinlein (qui avait étudié la théologie), peignant cette fois la « République bourgeoise » sous les traits de la prostituée babylonienne. Le conte allemand de Blanche-Neige s’inspire du récit de l’Apocalypse, dont il reprend plusieurs éléments-clefs, telle la rivalité entre deux reines, l’une officielle et méchante, l’autre pure et forcée de se cacher.

En revanche les commissaires de la BNF n’ont pas manqué de rappeler la « culture apocalyptique » d’une partie des colons qui fondèrent l’Amérique moderne sur le rejet de la vieille formule européenne de l’Etat catholique. C’est ici tout le paradoxe derrière l’élection de Donald Trump, soutenu par des sectes messianiques pour qui l’exercice du pouvoir est nécessairement “babylonien” et satanique.

Le critique du « Monde » (15 février), Philippe Dagen, présente comme un paradoxe le fait pour des artistes de produire des œuvres d’art vouées en principe à la destruction ; mais, pour le peintre et graveur Albert Dürer, auteur d’une série de gravures célèbre illustrant l’Apocalypse, complétée d’un portrait de Satan (alias Saturne) (« Melencolia I »), propager et faire connaître l’Apocalypse était sans doute l’occasion rêvée pour un artiste d’accomplir sa mission de chrétien.

Portrait de la fille du peintre Horace Vernet par Th. Géricault (vers 1818).

Sage comme une image

Le Musée de Tessé, au Mans illustre dans une exposition « 120 années de mutation de la conception de l’enfance dans notre société, (…) un angle mort dans l’histoire des représentations » selon Eric-Biétry Rivierre (« Le Monde », 18 février).

Plus d’un quart de la centaine d’œuvres exposées dans le chef-lieu de la Sarthe sur le thème du nouveau statut de l’enfant dans la société bourgeoise provient du Louvre.

L’histoire des représentations, comme celle des idées ou du droit, est l’histoire de la société telle qu’elle se rêve, plus belle qu’elle n’est vraiment. Il faut en effet se garder de croire que les enfants, les femmes ou les homosexuels bénéficient d’une protection spéciale, du seul fait que la société ou ses élites s’enorgueillissent de leur accorder un statut protecteur ; le statut de l’ouvrier est très élevé dans la société communiste : mais quelles sont les conséquences concrètes de ce statut ? L’enfant-roi n’est-il pas avant tout le roi des c., exploité par les publicitaires ? Le statut de la femme s’est-il amélioré, en général, ou celui de la femme occidentale en particulier ?

La bande dessinée, genre littéraire largement réservé aux enfants, reflète ce changement de statut que les commissaires de l’expo. datent approximativement de la Révolution de 1789. La BD, tout comme l’école républicaine, est conçue selon des principes pédagogiques qui ne doivent rien aux enfants.

Tintin est l’exemple de l’ado. émancipé comme on n’en croise pas dans la vraie vie ; une partie du comique de Hergé tient à cette inversion des valeurs : Tintin conserve toujours son sérieux au milieu d’adultes le plus souvent immatures ; il véhicule une image idéalisée de l’adolescence, mais non de la famille traditionnelle, qui a perdu ses droits au cours des XIXe et XXe siècles en Europe au profit de l’Etat.

L’histoire des représentations est donc plus propice aux expos thématiques qu’à l’histoire elle-même…

(Expo. jusqu’au 8 juin au Mans, puis à Bordeaux)

Comment éduquer ses enfants

Le caricaturiste Eric Salch donne sa version du « Guide du Mauvais père » publié par son confrère québécois Guy Delisle il y a une dizaine d’années.

La comparaison tourne à l’avantage de Guy Delisle ; celui-ci suggère que l’autorité parentale est devenue, au XXIe siècle, avec l’interdiction des châtiments corporels, l’art de la manipulation, que les nouveaux pères se doivent de maîtriser. Sans doute la tâche des profs en est-elle compliquée, qui ont les gosses sur les bras la plupart du temps ; les parents soutiennent les profs, car sans eux ils devraient éduquer eux-mêmes leurs marmots.

G. Delisle est donc un père plus imaginatif que Salch, et Le Guide du mauvais Père l’emporte par la variété des situations illustrées.

Comment éduquer ses enfants, par E. Salch, éd. Les Rêveurs, 2025.

Le Guide du Mauvais père, par Guy Delisle, éd. Delcourt, 2013.

Cases extraites de “Boule à zéro” (éd. Bamboo).

Stéréotypes et caricatures

Personne ne songe à interdire la lecture de l’œuvre de Charles Darwin, sous prétexte qu’elle a servi au parti nazi à élaborer une théorie raciale. En revanche il faudrait que les caricaturistes cessent de faire des caricatures sous prétexte que le parti nazi a accusé les traits de ses victimes.

La caricature force le trait et s’appuie sur des stéréotypes : Cabu exagérait le type sémite de Yasser Arafat ou Serge Gainsbourg, le type camerounais de Yannick Noah et le type berrichon de Gérard Depardieu. Personne n’a –heureusement- songé à le lui reprocher (on lui a seulement reproché de caricaturer des enfants mongoliens). Un journaliste de « Charlie-Hebdo » témoigne (dans la dernière édition) que certaines élèves d’un lycée où il est allé prêcher l’art de la caricature sous bonne escorte policière ont reproché à « Charlie » de caricaturer… Gisèle Pélicot.

Les pétitions se sont multipliées, ces dernières années, demandant le retrait de certaines bandes dessinées véhiculant des « stéréotypes raciaux ». La dernière en date vise la série « Boule à Zéro » par Zidrou et Ernst, une sorte de « Bibi & Fricotin » remis au goût du jour.

C’est ici un effet de la censure démocratique « à l’américaine » auquel les Français ne sont pas habitués, puisque la France est plus proche du modèle démocratique chinois dans lequel l’Etat a le quasi-monopole de la censure. On démontrera par le modèle américain que la liberté d’expression n’existe pas en Chine ou en France, et par le modèle chinois ou français qu’elle n’existe pas plus aux Etats-Unis. Quand il était dans l’opposition, Elon Musk a fait sauter le verrou de la censure du parti démocrate, qui avait la mainmise sur les principaux réseaux sociaux ; maintenant qu’il est au pouvoir, Musk ne va-t-il pas se transformer comme “Charlie-Hebdo” en doctrine officielle de la liberté d’expression ?

Caricatures fraîches, par Kurt (“Nord Littoral”), Félix (“Charlie-Hebdo”), Deligne (“Le Télégramme”), MAN (“Facebook”), Sié (“Facebook”), Guiduch (“Charlie-Hebdo”) & Zombi (“Zébra”) :

par Kurt.

par Félix.

par Deligne.

par MAN.

par Guiduch.

par Zombi.