REVUE DE PRESSE BD & CARICATURE ZEBRA N°126

¨Planche extraite de l’album “Le Rire de Cabu”.

Cabu et le théâtre

La veuve de Jean Cabut alias Cabu, ainsi que plusieurs ouvrages posthumes, rappellent la passion de Cabu pour le théâtre, qu’il fréquentait assidûment, et croquait par conséquent. Cabu s’était-il aperçu du massacre de Molière par la Comédie française au cours des dernières décennies, au nom de la « mise en scène » ? Quelques bonnes interprétations de Molière sont heureusement archivées dans Youtube (le “Bourgeois” joué par M. Galabru), ce qui permet au jeune public de découvrir Molière sans mise en scène snob.

Cabu préférait se moquer des acteurs de cinéma, souvent mauvais interprètes de rôles qui ne sont pas taillés pour eux, exigeant une diction et une gestuelle théatrâles.

La question du puritanisme est centrale dans le théâtre de Molière, ce qui explique qu’il n’a pas pris une ride trois siècles plus tard : « Mai 68 » fut un mouvement antipuritain, et le « parti des dévots » s’est renforcé depuis la fin du XVIIe siècle, malgré la relégation de l’Eglise catholique au niveau du folklore. L’erreur est de croire Molière “moderne”, alors que c’est Louis XIV et Colbert qui l’étaient.

On ne saura pas comment Cabu aurait réagi à la mise en scène récente du « Tartuffe » par Ivo van Hove et les acteurs de la Comédie française (2022), mise en scène qui tend à… réhabiliter l’hypocrite Tartuffe.

La colère d’Achille spolié, par Giuseppe Cades (1776).

Objection d’un lecteur

Objection d’un lecteur de la revue de presse, comme nous avons présenté dans le précédent numéro « L’Iliade » comme un exemple d’exposé de la « culture du viol » : « Il n’y a même pas de viol dans l’Iliade ! » ; en effet la première partie du diptyque d’Homère ne contient pas de scène de viol explicite, et les artistes du XVIIe et du XVIIIe siècles qui ont dessiné Achille copulant brutalement avec Briséis ont fait appel à leur imagination.

Mais on peut illustrer la « culture du viol » sans montrer le viol à chaque page comme le Marquis de Sade. Il suffit qu’Homère dise de Briséis qu’elle est « captive » pour que l’on comprenne de quoi il s’agit - d’une jeune femme livrée au vainqueur comme prix de sa victoire. C’est d’autant plus net qu’Agamemnon, supérieur hiérarchique d’Achille, lui enlève autoritairement son cadeau (chant IX), déclenchant ainsi la fameuse colère d’Achille, dans laquelle certains hellénistes voient une illustration de la « nemesis ».

Agamemnon, comprenant qu’il est préférable pour son camp d’apaiser sa colère, restitue Briséis en assurant « qu’il ne l’a même pas touchée ». Le capitalisme n’a donc pas inventé la femme-objet, il n’a fait qu’en démocratiser l’usage.

Encore faut-il préciser que Briséis est une jeune aristocrate, qui a droit à plus d’égards qu’une servante, et dont Achille-aux pieds agiles et au cœur de lapin va tomber amoureux. Dans l’esprit des Grecs et des Troyens – quel que soit leur sexe – la femme est un accessoire du territoire, un “meuble” au sens juridique du terme. Le viol est naturel (cf. le viol de Perséphone), tandis que le mariage est contre-nature ; Homère montre que la guerre rétablit la Nature dans ses droits.

Les Grecs ne sont supérieurs aux Troyens que pour une seule (bonne) raison : les Achéens ont Ulysse dans leur camp. Peut-être aussi parce que les Troyens ont commis le premier viol, à savoir le rapt d’Hélène par Pâris (Shakespeare n’a pas innocemment repris ce prénom pour le donner au mari imposé à Juliette par ses parents, dans « Roméo et Juliette »). Le rapt d’Hélène est sans doute un viol du point de vue des Achéens. On objectera qu’Hélène était « consentante ». Mais cette casuistique du consentement n’existait pas du temps d’Homère ! S’il y a bien un domaine où le libre-arbitre n’existe pas selon Homère, c’est celui de la passion amoureuse.

Shakespeare propose, lui, dans « Troïlus & Cressida », parodie de « L’Iliade » qui ne trahit pas l’esprit d’Homère, une théorie de l’échangisme capitaliste, plus adaptée au Temps modernes où le pouvoir et la violence des soldats et le patriarcat ont régressé au profit du pouvoir des agents de change.

Histoire et caricature

Yves Frémion vient de publier (chez Glénat) une histoire du dessin politique et d’actualité (1830-2015)… que nous n’avons pas encore lue.

Les ouvrages didactiques d’Y. Frémion se distinguent habituellement par leur clarté. L’histoire de la caricature n’est pas franco-française, puisqu’elle est liée, comme celle de la bande dessinée, au développement d’une presse qui peut aussi bien être qualifiée de « libérale » au Royaume-Uni que de « républicaine » en France, ce qui incite à se défier des étiquette idéologiques. La France est particulièrement exposée au problème du “roman national” et de l’enseignement d’une “vérité d’Etat”.

On est curieux de voir si Y. Frémion a su éviter le travers bien français qui consiste à tout mesurer à l’aune de l’identité française. (A suivre…)

Caricatures fraîches par Jérem’ (“Facebook”), Truant (“Twitter”), Glon (“Facebook”), Schvartz (“Charlie-Hebdo”) & Zombi (“Zébra”) :

par Jérem’ Illustrations

par Truant.

par Glon.

par Schvartz.

par Zombi.