REVUE DE PRESSE BD & CARICATURE ZEBRA N°148

éd. Gallimard, 2025.

Satire ou propagande ?

L’ouvrage fraîchement paru sur « De Gaulle, la France et le Monde » (éd. Gallimard) par Alyan Aglan et Julian Jackson permet d’aborder la question de la caricature “étrangère” - celle de Donald Trump par les caricaturistes européens, par exemple. Satire ou propagande ?

Les caricatures de D. Trump sont rarement satiriques ; elles visent le plus souvent à conforter le point de vue “européen” qui cherche à discréditer un président des Etats-Unis élu sur un programme anti-européen ; le mouvement MAGA prétend en effet renouer avec « l’esprit de la révolution de 1776 » (soutenue imprudemment par le roi Louis XVI).

Le leader populiste de gauche Bernie Sanders (soutien du nouveau maire de New York Zohran Mamdani) n’a d’ailleurs pas tardé à répliquer à l’accaparement par les MAGA du discours révolutionnaire démocratique et anti-impérialiste. Pas question pour la gauche de laisser à la droite le monopole de la révolution contre “l’Etat profond” (que les populistes de droite comme les populistes de gauche se gardent de définir trop précisément).

Les caricatures sur de Gaulle et la France parues dans la presse étrangère n’alimentaient pas moins le discours de propagande. Le chroniqueur du « Figaro », Jacques de Saint-Victor, rappelle que le général de Gaulle était doublement taxé de “fasciste” : non seulement par la propagande communiste [modérée vu le pacte électoral passé entre les gaullistes et les communistes], mais aussi par la propagande états-unienne [la famille de Gaulle accusera la CiA d’avoir subventionné certains groupuscules actifs en “Mai 68”]. Impossible d’écrire l’histoire de de Gaulle et du gaullisme sans tenir compte du contexte de la Guerre froide ; la formule monarchique adoptée par de Gaulle en 1958 n’est pas moins tributaire du contexte international que la guerre d’Espagne.

“L’adulation de de Gaulle” par les Français au XXIe siècle évoquée par J. de Saint-Victor est parfaitement “orwellienne”, car ce culte (très superficiel), relancé par J.-M. Le Pen, repose presque entièrement sur le marketing politique et la réécriture de l’Histoire.

Georges Clemenceau s’opposait à l’enseignement de l’Histoire à l’école, plaidant qu’“il existe plusieurs versions de l’Histoire, et celle-ci exige d’être constamment révisée.” On fait à tort le lien entre les “valeurs républicaines” et le “roman national” : en réalité la fonction de ce dernier est principalement militaire, et le roman national est bien plus totalitaire qu’il n’est républicain.

Ci-dessous le caricaturiste Ralph Soupault, d’abord communiste avant de devenir un fervent partisan de la collaboration avec l’Allemagne nazie, soulignait la collusion des Soviets et du général de Gaulle.

L’Avare et la Mort.

Le stéréotype antisémite

Derrière le reproche de véhiculer “le stéréotype antisémite”, tantôt reposant sur l’ignorance, tantôt sur procès d’intention malveillant comme celui qui fut fait au caricaturiste Siné, c’est à la caricature que l’on s’en prend. Celle-ci repose en effet sur des codes visuels, donc des stéréotypes.

“Tintin” n’est pas “raciste” parce que Hergé s’appuie pour dessiner les indigènes du Congo sur des stéréotypes. “Tintin” enjolive la colonisation particulièrement brutale du Congo par la Belgique (tandis qu’il souligne a contrario la brutalité de l’invasion japonaise).

Personne n’a songé à accuser le comédien Michel Boujenah de véhiculer le stéréotype antisémite en incarnant Harpagon au théâtre. Molière a donné à son personnage d’avare un nom qui signifie “rapace” et non “juif”. Sous prétexte que le régime nazi a repris pour sa propagande le vieux stéréotype du nez crochu, on devrait s’interdire de le reprendre ?

La rapacité ne s’entend pas seulement au sens de la richesse de l’usurier juif ; elle peut s’entendre au sens sexuel ou de l’accaparement du pouvoir et s’appliquer, par exemple, à Mussolini.

La gravure ci-dessus illustre intelligemment le propos de Molière en montrant la Mort à l’arrière-plan. Molière souligne dans “L’Avare” la portée métaphysique de l’Argent ; c’est un dieu ambivalent, qui rassure et inquiète en même temps.

Principaux personnages du Meilleur des Mondes, par Alexis JC. A.

Retour au Meilleur des Mondes

Un lecteur nous reproche cette contradiction à propos de l’adaptation en BD du « Meilleur des Mondes » par Fred Fordham (éd. Philéas), dont nous avions critiqué le dessin plat et inexpressif dans notre dernière revue de presse : - Comment dessiner de façon « expressive » les citoyens du Meilleur des Mondes d’Huxley, qui doivent tous avoir la même expression optimiste inexpressive, comme Tintin ?

Remercions ce lecteur pour son objection, car elle permet indirectement de répondre à une autre question : - Pourquoi les romanciers britanniques sont-ils aussi nombreux à avoir, dans le premier tiers du XXe siècle, publié des romans anti-utopiques ? Ceux d’Huxley et Orwell sont les plus connus, car ils connurent le succès, mais l’on peut citer aussi « Love among the Ruins » d’Evelyn Waugh, ou encore le précurseur « Concrete » de l’Irlandaise Aelfrida Tylliard (1930).

La première réponse qui vient à l’esprit est que la culture britannique est probablement la plus hostile à l’utopie. Orwell se repent dans “1984” de s’être fait piéger par “La Fraternité” d’Emmanuel Goldstein (alias Trotski). Le Orwell qui écrit “1984” et “la Ferme des Animaux” est un Winston Smith déniaisé. En posant l’équivalence du mensonge trotskiste et du mensonge nationaliste, Orwell s’est fait des ennemis jusqu’au XXIe siècle.

Par ailleurs l’optimisme – Tintin est là pour nous le rappeler – est caractéristique de la littérature pour enfants, longtemps considérée comme une “sous-culture”, avant que les idéologues libéraux (au grand dam d’Hannah Arendt) n’effacent la différence qu’il y a entre Homère et Hergé ou entre Alexandre Dumas et Balzac.

Du point de vue britannique, l’excès d’optimisme est un signe d’imbécillité caractéristique des Etats-uniens (l’excès de pessimisme est représenté par le suicide). Pour ne pas se couper du public états-unien, le cynique E. Waugh réécrivait pour lui ses romans en gommant l’humour noir.

Mon Lapin s’arrête

Le journal trimestriel des fondus de typographie “Mon Lapin quotidien” (vendu en librairie) va cesser de paraître ; il publiait aussi quelques dessins satiriques. “L’Association”, petit éditeur parisien qui le produit, invoque des problèmes de trésorerie (hausse des prix du papier, des envois postaux…). “L’Association” percevait aussi des subventions directes ou indirectes (achats de livres par les bibliothèques publiques), qui ont diminué avec les restrictions budgétaires.

L’heure est plutôt à la subvention de l’industrie militaire ; comme l’a rappelé récemment D. Trump au “libertarien” Elon Musk : sans les commandes de l’Etat, les affaires d’Elon Musk ne seraient pas aussi florissantes.

L’expansion de la culture audio-visuelle dans la jeune génération est souvent pointée comme la cause de la diminution du nombre de lecteurs et des difficultés de l’édition. En réalité des magazines qui peuvent être rédigés par une intelligence artificielle présentent moins d’attrait que les réseaux sociaux, plus vivants.

Suivant la démonstration d’Orwell, la culture de masse s’oppose à la culture écrite, qui ne conserve plus d’attrait que pour quelques personnes à la curiosité scientifique un peu plus développée.

Caricatures fraîches par Gab (“Facebook”), Ludoch (“Facebook”), Rémy Cattelain (“Facebook”), Schvartz (“Charlie-Hebdo”), Morten Morland (“The Times”) & Zombi (“Zébra”) :

par Gab.

par Ludoch.

par Schvartz.

par Rémy Cattelain.

par Morten Morland.

par Zombi.