REVUE DE PRESSE BD & CARICATURE ZEBRA N°82

29 Janvier 2023

Riad Sattouf 2023 par Zombi

Riad Sattouf 2023 par Zombi

L'Arabe du Mois

Quel auteur de bande dessinée contemporain méritait mieux que Riad Sattouf d’être honoré d’un grand prix par ses pair.e.s ?

Songez que Riad Sattouf n’a même pas eu besoin d’un scandale public ou d’une grossière provocation pour faire connaître ses bouquins, comme Salman Rushdie ou Michel Houellebecq. Il doit son succès au bouche-à-oreille.

Et Riad Sattouf n’a plagié personne, contrairement à la plupart des économistes, des sociologues et des auteurs de science-fiction dont les ouvrages neufs (mais point originaux) encombrent les rayons des librairies.

Riad Sattouf ne dessine pas non plus de femmes partiellement ou entièrement dénudées, suivant la recette convenue de la bande dessinée pour adultes hétérosexuelle, homosexuelle ou transsexuelle.

Riad Sattouf n'imite pas le grand maître Hergé, ou si peu. Car son humour ne s'adresse pas aux enfants belges de 7 à 77 ans ; la « ligne claire » de Hergé, inspirée du dessin animé, n’est pas la technique de Sattouf.

Riad Sattouf n’est même pas une femme !

Pour toutes ces raisons, on pardonne à R. Sattouf de donner systématiquement en interview les réponses politiquement correctes que les journalistes attendent de lui (sur ce plan-là, M. Houellebecq est bien meilleur).

Camus adapté par J. Ferrandez

Camus adapté par J. Ferrandez

Camus pour les Nuls

L’adaptation en BD par Jacques Ferrandez de « Le Premier Homme » (chez Gallimard-BD, 2017) est une séance de rattrapage pour ceux qui, comme moi, sont passés à côté d’Albert Camus. La lecture obligatoire de « L’Etranger » au cours de ma scolarité ne m’avait pas laissé un souvenir impérissable.

Mort brutalement d’un accident d’auto en compagnie de son éditeur (drôle de fréquentation), A. Camus laissa un roman inachevé, « Le Premier homme », dont le brouillon fut retrouvé dans les débris de l’accident.

On comprend vite en lisant cette BD pourquoi les éditeurs ont attendu aussi longtemps pour publier ce reliquat (éditeurs dont les réflexes sont habituellement ceux d’un charognard à la vue d’une belle carcasse encore fumante - voyez plutôt à quelle vitesse les restes de Céline ont été avalés et digérés par Gallimard !!). Ce roman autobiographique de Camus n’est pas idéologique. Il y parle de sa terre natale, l’Algérie, occupée par les colons et l’armée français, d’une manière qui n’est pas exploitable dans un discours politique en faveur de la décolonisation ou en faveur de l’Algérie française. Le propos de Camus est sans doute peu flatteur pour les élites françaises, dans la mesure où il souligne l’improvisation criminelle de la colonisation.

Camus souffrait d'être une sorte de déraciné - de venir de nulle part et de ne pas savoir où il allait. La pauvreté de sa famille d'ouvriers originaires de la banlieue parisienne, doublée de l’effort presque surhumain pour s’implanter dans une région hostile, donnait à Camus le sentiment d’une grande précarité morale. Son père parti se battre en métropole quand il était enfant ne revint pas.

Le jeune Camus s’extirpera de la misère et des griffes d’une grand-mère tyrannique grâce à l'école, mais non sans être poursuivi, une fois parvenu au faîte de la gloire littéraire, par le sentiment de culpabilité d’avoir trahi son milieu. La réussite sociale n’interrompit donc pas son errance. C’est peut-être cette capacité d’exprimer cette « errance » morale qui fait l'intérêt des romans de Camus ?

"Le Canard Sauvage", Une du 25 avril 1903 par Hermann-Paul

"Le Canard Sauvage", Une du 25 avril 1903 par Hermann-Paul

Jarry journaliste

Quand on a dit d’Alfred Jarry (1873-1907) qu’il inventa la Pataphysique, on n’a encore rien dit. Quelques années avant sa mort précoce, à l’âge de 34 ans (précocité à laquelle le climat d’ébriété parisien ne serait pas étranger), A. Jarry trouva à s’employer comme chroniqueur au « Canard Sauvage » pendant un an (1903) - un quasi-hebdomadaire. Il le fallait, car Jarry avait avalé « cul sec » l’héritage familial, après avoir échoué à devenir prof ou médecin (comme A. Allais échoua à devenir pharmacien).

Anticlérical, antimilitariste, anticolonialiste, « Le Canard Sauvage » a toutes les qualités de la presse « anarchiste » ; encore faut-il dire que le clergé et la bourgeoisie catholiques, brocardés par Jarry et ses confrères, avaient encore de beaux restes au début du XXe siècle. Visionnaire, un confrère de Jarry au « Canard Sauvage » (Pierre Soulaine) prédisait à la « libre-pensée » le rôle et la place du catholicisme « dès qu’elle sera plus à la mode chez les bourgeois que le catholicisme. »

Qui songe aujourd’hui à se convertir au catholicisme en France, par effet de mode ? Pas même Eric Zemmour !

Le numéro en date du 25 avril 1903 du « Canard Sauvage » (Une par Hermann-Paul ci-dessus) est entièrement consacré (sauf la rubrique théâtrale signée Jules Renard), à la visite du président de la République Emile Loubet (1838-1029) en Algérie française. Nous reproduisons ci-dessous l’article donné par Jarry à cette occasion.

Le « Loubing The Loub »

Expédition française ou LA DERNIERE CROISADE

Pierre l’Ermite, quand il prêcha, était tout seul. Cela convenait à sa situation érémitique. Les congrégations furent des tas. L’union fait la force.

Monsieur Combes les fit sortir sans bruit par l’escalier de service (militaire) et une petite poterne, afin de surprendre les Infidèles.

Tous étaient là, ou plutôt, dans leur zèle, n’étaient déjà plus là : bernardins, bénédictins, théatins, amadéans, barnabistes, ermites, et les chartreux, qui fabriquent la chartreuse, mais point à Chartres, par raison et mystère, et les marianistes, qui fabriquent le vin Mariani. Tous, avec la croix et la bannière, à l’inverse des hirondelles immigrées en France avec le printemps émigrent vers les royaumes des Sarrasins.

Telle fut l’avant-garde.

Monsieur Loubet dénombra ses autres forces.

Et d’abord, n’en pouvant croire ses yeux devant sa propre armoire à glace présidentielle, il ouvrit, sur son habit noir, son pardessus, le grand-cordon était bien là, la croix de la Légion d’Honneur au bout.

La croix ! D’autre gens d’honneur, les chevaliers, portaient aussi sur leur poitrine la croix, ou le ruban qui eût pu soutenir les croix. Et ces croisés étaient Légion.

Sans compter les autres officiers, tant de bouche que militaires.

Monsieur Loubet fut pour crier : « Montjoye Saint-Denis ! Dieu le veult ! »

Les congrégations sortaient toujours.

Il se rappela, à temps que saint Denis, cet aristocrate, fut guillotiné. Et quand eût-il été guillotiné, sinon en 93 ?

C’était bien porté il y a cent ans, la tête coupée. Il portait la même, sa tête, à la main. Et la coupure rouge faisait le grand cordon.

A présent ça ne se fait plus beaucoup, même dans les prisons. Les condamnés à mort ne disent plus : « Montjoye », mais : Monte-à-Regret.

Monsieur Loubet cria donc simplement : Vive la République !

***

L’armure de monsieur Loubet est un peu grande pour lui. Il ne la portait pas. Elle le portait. A ce bien moderne croisé, c’était son croiseur qui la portait.

Le croiseur s’appelait « Jeanne d’Arc », ce que M. Loubet, bon historien, jugea très suffisamment première croisade et modern style.

-Je vois bien la cuirasse, dit Madame Loubet. Mais, Emile, où les brassards ? les cuissards ?

-Ma petite maman, chanta un mousse, les petits bateaux qui vont sur l’eau ont-ils des jambes ?

-Evidemment, conclut le Président, ils n’iraient pas s’ils n’avaient ni jambards, ni cuissards.

Et il fit peindre au-dessous de son écu (triparti d’azur, d’argent et de gueules, au deuxième à trois têtes de loup arrachées de sable, les araignées pendant après au naturel) cette devise : « ET MILLE – JE TUERAI. »

Et pour être bien Français, ou du moins bien parisien, au-dessous encore : « Loubing the loub ! »

***

-Mais, mon petit bêta, s’ils n’en avaient pas…

Les "Teurs"  psalmodiaient : -Starbon Turca Loubeta ? Hi valla, hi valla.

Le "Muphti" : -Soc, ioc, ioc. Star Montélimar.

Le nougat prédispose à l’Afrique.

Le MUPHTI, (de même et d’après les journaux du 19 avril) : -Bel-Men.

M. LOUBET : -Que dit-il ?

Le TRUCHEMENT, sous-préfet de Tlemcen : -Il assure le chef-de l’Etat du respect et la dévotion de tous les Teurs à la France et à la République.

M. LOUBET (dans la langue du pays) : -Ha la ba, ba la chou, ha la ba, ha la da.

Ce qui veut dire : La France protège tous ceux, Français ou indigènes, qui résident sur son sol ; mais, en retour, elle attend d’eux un dévoûment absolu.

***

… C’est pourquoi le sultan des Sarrazins fut déconfit. L’histoire ne saura jamais s’il prit M. Loubet ou si M. Loubet le prit. Ces chassés-croisés sont fréquents dans les croisades.

Le sultan des Sarrazins s’appelle Karagheuz.

***

M. Loubet, désireux de lui agréer, mécréantisa son nom. Il déclina, rabattant la visière de son casque colonial : -Lou-Bey… du Grand Bey, où est enterré Châteaubriand.

-Karagheuz, répondit l’autre.

Et le truchement expliqua : -Karagheuz, l’homme aux yeux noirs. On dit : noir comme les yeux de Karagheuz.

-Mon vieux Taupin ! s’écria le Président en se jetant dans ses bras, au grand dam du protocole.

***

Pour rompre les chiens par quelque chose de plus présidentiel, il hasarda :

-Que de sable ! que de sable !

-C’est le désert, mon frère, dit Karagheuz. On met du sable par terre, ou plutôt de la sciure de bois : tous les arbres ont été convertis en sciure et ceux qui ne le sont pas on les appelle des oasis. On met du sable par terre pour que le chameau, animal maladroit qui tombe souvent, ne se fasse pas de nouvelles bosses.

Et puis le sable, c’est surtout de la poussière : le désert est très poussiéreux, car il n’y tombe jamais d’eau.

-Vous n’époussetez pas ? dit M. Loubet.

-Chameaux, plumeaux ? fredonna Karagheuz. Les plumeaux, ce n’est pas ce qui manque ici. Ils sont fort grands, c’est pourquoi on les appelle des palmiers. Ils poussent la plume en l’air. Il fait trop chaud pour qu’on se donne la peine de les retourner.

-Alors, dit M. Loubet, si vous n’en faites rien, m’est-il permis d’en cueillir quelques palmes ? Cela fera plaisir à des amis.

-Les palmes sont mûres, dit Karagheuz, ce sont déjà presque des dattes.

Néanmoins M. Loubet en décora tout le monde.

***

Dernière heure :

Horrible, horrible ! M. Loubet est captif, chez les pirates barbaresques. La Jeanne-d’Arc est aux mains des musulmans. Le croissant flotte à son mât. M. Loubet souffre pour la défense de la foi. Le mobilier de son appartement sur le navire ne suffit point à le racheter, quoiqu’il contienne des fauteuils en acajou massif, des tableaux de maître (une galerie d’ancêtres par Bonnat), une bibliothèque incomplète (que reste-t-il donc à la Nationale ?), et une table de nuit avec vase de Sèvres.

Filez, Dames de France, filez vos quenouilles, pour la rançon de votre Président !

Alfred JARRY

Mathieu Sapin d'après Tomi Ungerer

Mathieu Sapin d'après Tomi Ungerer

L'étrange hommage de M. Sapin

Etrange hommage de Mathieu Sapin à l'illustrateur et conteur alsacien Tomi Ungerer, disparu en 2019 : "Pas de baiser pour Maman" (éd. Rue de Sèvres, 2022). En effet T. Ungerer déclarait ne pas vouloir écrire pour les enfants de contes moralisateurs ou "éducatifs", comme on préfère dire aujourd'hui ; cela lui valut même aux Etats-Unis les foudres des pédagogues bien-pensant.e.s, qui mirent un terme à une carrière entamée tambour battant.

Mathieu Sapin a donc adapté en bande dessinée (?) une histoire... on ne peut plus moralisatrice ! T. Ungerer se plaignait d'avoir eu une mère un peu trop envahissante, le couvrant de baisers sans arrêt (il n'y a pas qu'aux petites filles que ces choses-là arrivent). A force de repousser sa mère, le petit Tomi finit par éprouver un sentiment de culpabilité et acheter un bouquet de roses à sa mère pour se faire pardonner.

Que l'on se rassure, T. Ungerer a fini par, comme disent les psychanalystes, "tuer sa mère", et devenir ainsi adulte.

Moralité : "Il arrive que les culs-bénis rendent hommage au diable". Et même assez souvent, si l'on en croit Molière.

Quelques caricatures par Sempé, Kroll, Guy Venables et Zombi

Une du "Punch" de Londres par Sempé.

Une du "Punch" de Londres par Sempé.

Sempé n'a pas dessiné des Unes pour le "New-Yorker", mais aussi pour les lecteurs anglais du "Punch".

Caricature par Kroll (Le Soir)

Caricature par Kroll (Le Soir)

Caricature par Guy Venables (RU)

Caricature par Guy Venables (RU)

-Ah, vous réclamiez CE groupe Wagner-là !?...

par Zombi pour le fanzine Zébra

par Zombi pour le fanzine Zébra