REVUE DE PRESSE BD & CARICATURE ZEBRA N°108

10 Mars 2024

Portrait équestre du Condottière Muzio Sforza (1491).

Renaissance à double sens

« L’exposition montre ainsi l’édition originale du « Pantagruel » de Rabelais (1532), dans lequel Gargantua exhorte son fils Pantagruel à l’étude des lettres, parce que c’est par elle que « d’animal humain, il se fera homme », pour reprendre un mot de Pétrarque. L’objectif de formation de l’homme est aussi ce qui commande le développement du culte des grands hommes, en tant qu’incarnation de l’énergie morale qui rend capable de créer et d’agir, à l’exemple des héros romains dont ce même Pétrarque a entrepris de rédiger les vies dans son « De viris illustribus. »

Jean-Marc Chatelain, chargé des livres rares conservés à la BNF, présente ainsi l’exposition de quelques œuvres emblématiques de la Renaissance (jusqu’au 16 juin).

Le parti du Président a été rebaptisé « Renaissance », peut-être par allusion au phénix qui renaît de ses cendres ? Mais la Renaissance, cette période de l’histoire qui passe pour charnière, paraît bien lointaine de notre fin de siècle industriel et industrieux.

La poussée de fièvre impérialiste, du début du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui, contredit le mouvement politique de la Renaissance : celui-ci tendait a contrario vers une échelle plus humaine. La Renaissance coïncide avec le démantèlement de ce résidu de l’empire romain que fut l’Europe médiévale. Le catholicisme a perdu alors sa fonction de culture dominante, bien avant la Révolution française.

La révolution culturelle, artistique et scientifique, à quoi on associe l’humanisme, est indissociable du contexte politique de recul de l’impérialisme. Pour autant il est impossible de réduire l’humanisme de la Renaissance à un mouvement univoque. L’expo. organisée par la BNF se concentre sur Pétrarque (1304-1374), qu’elle qualifie de « figure fondatrice ». Ni clerc, ni universitaire, Pétrarque est surtout représentatif de la culture aristocratique, répandue à la cour des rois de France et d’Angleterre. Mais cette mode en provenance d’Italie n’est pas plus caractéristique de la Renaissance que sa caricature par Shakespeare à la fin du XVIe siècle.

On ne peut pas d’ailleurs pas exclure du mouvement humaniste Luther, Erasme ou Giordano Bruno, sous prétexte qu’ils étaient clercs. Leur audace théologique n’est pas nouvelle : ce qui est nouveau, caractéristique de ce temps, c’est la protection politique dont ces théologiens bénéficient, du fait de la réorganisation de l’Europe.

Albert Dürer et sa production de gravures théologiques, ou encore Jérôme Bosch, sont aussi représentatifs de la Renaissance dans le domaine des arts plastiques, peut-être plus encore que l’archaïsant Pétrarque.

D’une certaine façon, la Renaissance demeure aussi énigmatique que le sourire de la Joconde, particulièrement en France où l’Histoire est conçue et enseignée comme un moyen de légitimation des élites, au moins jusqu’au baccalauréat (ce qui fait de l’enseignement de l’histoire en France l’équivalent du droit divin sous l’Ancien régime).

On pourrait multiplier les exemples de divergence radicale entre l’humanisme contemporain et celui de la Renaissance, en sus du préjugé impérialiste mentionné plus haut. Pour n’en citer qu’un, le prestige du savoir livresque, qui n’a bien sûr rien à voir avec la bibliophilie, s’est considérablement érodé.

La société (sclérosée) du spectacle d’elle-même, ou de l’auto-analyse, est une société sidérée ; le savoir livresque d’où la Renaissance tire son dynamisme est le moins spectaculaire.

Illu. par Tardi.

Livre des Morts

La nostalgie de la Commune de Paris compte Jacques Tardi parmi ses adeptes les plus fervents ; cette petite secte n’a jamais vraiment réussi ; peut-être est-ce ce qui la rend plus sympathique que d’autres, son échec complet ?

Ses reliques sont surtout à Montmartre, où la nostalgie de la Commune cohabite avec les pèlerinages de l’Eglise catholique, qui a perdu le plus gros de sa superbe depuis la chute de l’Empire napoléonien, mais à qui E. Macron accorde tout de même parfois une oreille distraite, en souvenir du bon vieux temps. Symétriquement, le conseil municipal de Paris verse de temps en temps une larme de crocodile sur les martyrs de la Commune.

Il y a comme une éternelle jeunesse dans les martyrs, fauchés dans la fleur de l’âge, dont toutes les religions savent habilement tirer parti ; si les caricaturistes de « Charlie-Hebdo » n’avaient été d’honorables vieillards, on n’ose même pas imaginer l’Eglise que F. Hollande et A. Hidalgo auraient pu bâtir là-dessus !

Cependant Tardi a choisi d’élire dernier domicile au cimetière du Père Lachaise, non loin du Mur des Fédérés, où de nombreux jeunes types de 20 ans, la plupart venant des faubourgs de Paris, rendirent l’âme pour une Cause très pure. Dans « 20 ans en Mai 1871 », bande dessinée silencieuse (éds Martin de Halleux, 2023), le vieux Tardi se rend donc d’un pas chancelant au Père Lachaise en traversant le Nord-Est de Paris, qu’il a beaucoup dessiné, et qui est désormais presque entièrement gentrifié, sur le point de rendre l’âme aussi.

Avant de faire le grand saut, Tardi ne manque pas de se soulager sur le monument érigé pour service rendu au centre du cimetière à Adolphe Thiers, qui su mieux s’y prendre qu’un autre pour sauver les bourgeois (cf. illu. ci-dessus).

C’est sans doute trop accuser Thiers et ses avatars nombreux, et pas assez la pureté, cet opium qui a fait des centaines de millions de victimes et continue d’en faire dans les faubourgs du monde.

par Posy Simmonds.

Hybride Posy

Le 26 février dernier, Posy Simmonds était invitée à présenter son œuvre à la bibliothèque Pompidou (où elle est exposée jusqu’au 1er avril), en compagnie de Riad Sattouf, devant un parterre de deux cent admirateurs environ.

Entre deux avalanches de compliments de R. Sattouf, pleuvant sur elle comme des loukoums, P. Simmonds a pu fournir quelques précisions sur son travail au journaliste de « France-Culture », bon connaisseur de son œuvre, mêlant pastiche littéraire et bande dessinée.

Dans « The Guardian », le « Libération » anglais, P. Simmonds se vit confier une quasi-pleine page hebdomadaire, difficile techniquement à remplir en raison de son format, pour y moquer les travers de la « gauche cachemire », c’est-à-dire les bobos anglais, principaux lecteurs de « The Guardian ». Prof, le père de famille M. Weber, aurait rêvé d’enseigner à Cambridge ; il se passionne par ailleurs pour le structuralisme (Michel Butor). Selon l’auteure, beaucoup de lecteurs ont pris au premier degré sa série, s’attachant aux personnages jusqu’à se plaindre par courrier de tel ou tel détail manquant, ou bien s’inquiéter de la santé d’un personnage mis entre parenthèses ; cette confidence rappelle le gain de popularité enregistré en France, dans l’électorat de droite cette fois, par J. Chirac grâce à sa marionnette des « Guignols de l’Info ».

Le personnage de Gemma Bovery (cent épisodes) lui a été inspiré par une jeune bourgeoise londonienne blasée en train de faire son “shopping”, exprimant à voix haute son désir d’acheter une longère en Normandie pour pimenter son existence.

Le travail pour la presse « sous pression » est difficile, estime P. Simmonds, mais stimulant. Sous le regard malicieux de R. Sattouf, elle a expliqué pourquoi elle ne maîtrise pas parfaitement les codes narratifs de la bande dessinée franco-belge : - Il est assez mal vu en Angleterre de lire des bandes dessinées passé l’âge de 8 ans.

(Ci-dessous visite guidée en anglais)

Quelques caricatures fraîches par Marc Schmitt (“Zébra”), Waner (“Siné-Mensuel”), Miss Lilou (“Facebook”), Decressac (“Facebook”), Jerem (“Facebook”), Sié (“Twitter”) & Zombi (“Zébra”) :

par Marc Schmitt.

par Waner.

par Miss Lilou.

par Decressac.

par Jerem.

par Sié.

par Zombi.

Fanzine “spécial Gilets jaunes 2019-2024”

Dans le n° de Mars du fanzine “Zébra”, nous revenons sur le phénomène politique des Gilets jaunes, qui arracha une France en fin de vie à sa torpeur morbide.