REVUE DE PRESSE BD & CARICATURE ZEBRA N°106

11 Février 2024

Illustration par Daniel Clowes.

Fauve marketing

Pas de scandale cette année pour épicer le Festival d’Angoulême (en 2023, Bastien Vivès et son éditeur avaient été accusés par une association de protection de l’enfance de diffuser du matériel pédopornographique, accusation qui a pris une tournure médiatico-judiciaire ensuite).

Le grand prix a été remis à la Britannique Posy Simmonds, et le Fauve d’or à l’Américain Daniel Clowes pour « Monica ». Ces deux auteurs sont peu connus du grand public francophone, mais la stratégie marketing des organisateurs est assez habile car elle permet d’entretenir le label culturel d’un festival qui est, avant tout, une grande foire commerciale.

Doit-on passer outre le dessin lourdingue, typiquement américain de D. Clowes, et lire « Monica » ? Certes, cette autofiction bat en brèche les discours de propagande, qui tentent de faire passer les Etats-Unis (l’Occident) pour plus civilisés que la Chine ou la Corée du Nord, mais D. Clowes ne fait que répéter ce que d’autres auteurs comme Robert Crumb ou Charles Bukowski ont dit avant lui ; Bukowski a peint des coulisses du « rêve américain » une fresque dont la noirceur n’est peut-être pas atteignable en bande dessinée (Franquin s’y est essayé) ?

La contre-culture a quelque chose du saccage d’une vitrine, mais la jeune génération qui se venge sur les vitrines des banques a parfois tendance à oublier que le pouvoir mystérieux de l’argent ne serait rien sans celui, non moins mystérieux, de la culture.

Une promenade sur les Champs-Elysées. (H. Daumier)

Balzac et Daumier assortis

Balzac et Daumier forment une paire d’artistes bien assortie ; ils se croisèrent peut-être à la rédaction du « Charivari » qui les employa tous les deux (1830) ; Daumier s’est approprié la nouvelle technique (économique) de la lithographie et la maîtrise déjà parfaitement ; il donnera une dizaine d’années plus tard quelques illustrations pour la « Comédie humaine ».

Mais ce qui pousse surtout au rapprochement, comme fait la Maison de Balzac actuellement dans une expo. (jusqu’au 31 mars), ce sont les tableaux qu’ils ont peints de la bourgeoisie et de la vie parisienne, car ils se recoupent largement. La finesse de son analyse sociale valut même à Balzac les hommages de Marx et Engels.

On peut dire ainsi du Parisien de Daumier qu’il est « plus vrai que nature », comme les personnages modelés par Balzac avec la boue de son époque. Tandis que Balzac a décrit l’âme du petit-bourgeois, rusé et déterminé à s’élever à n’importe quel prix dans la hiérarchie sociale, Daumier en a peint l’apparence extérieure, les mimiques simiesques et les contorsions comiques.

Daumier a aussi fait le portrait quasiment définitif de l’Assemblée nationale. On pourrait le refaire tel quel quasiment aujourd’hui, en remplaçant les jabots par des cravates, et en introduisant un quota de femmes. Cabu a gaspillé une part de son talent à refaire cette peinture.

La caricature par Balzac des journalistes et les journaux anticipe la prise de pouvoir des médias, et la relégation des parlementaires au rang de marionnettes.

Les dessins de Daumier ont le mérite de souligner que Balzac est un romancier picaresque et satirique, et les romans de Balzac ont le mérite de rappeler que les Parisiens de Daumier s’agitent à cause de l’argent. La perspective d’en gagner ou d’en perdre les électrise ; le monde bourgeois est un monde instable, oscillatoire.

Si l’on additionne Balzac et Daumier, on obtient à peu près Molière, capable de sonder l’âme du diable lui-même (Don Juan). B. et D. ajoutent-ils à la subtilité de de Molière  ? Ce que les deux caricaturistes ajoutent plutôt, c’est l’ampleur et le grouillement d’un corps social qui a perdu la tête, orphelin de Don Juan et de tout ce qu’il représente.

Hommage familial

Dans « Marianne » (31 janv.-6 févr.), Christian Hincker, alias Blutch, explique pourquoi il n’a pu produire qu’une pâle copie de « Lucky-Luke » (“Les Indomptés”) ; en deux temps : d’abord, le secret de « Lucky-Luke », explique Blutch, c’était l’humour de Goscinny. En effet, Goscinny a détourné un cow-boy de western du droit chemin de l’héroïsme, pour entraîner les gosses vers l’humour.

Puis Blutch explique qu’il a voulu immortaliser ses enfants en leur faisant jouer un rôle dans son « Lucky-Luke » ; le résultat est un cocktail de la comtesse de Ségur (en plus « politiquement correct », car la comtesse flirte avec le sadisme) et de Goscinny.

Guerre de cent ans

La caricature ci-dessus par Gustave Jossot (1904) montre que la guerre scolaire opposant l’enseignement privé catholique à l’enseignement public laïc ne date pas d’aujourd’hui. Cette guerre des mots, dont le principal mobile est politicien, a fait un dommage collatéral de taille : l’enseignement.

On voit que Jossot, comme quelques-uns de ses confrères au tout début du XXe siècle, n’était pas dupe de l’opposition de surface entre l’école confessionnelle et la laïque. Il représente en effet ce dernier sous les traits d’un franc-maçon goguenard, dont la « philosophie positive » n’est pas moins ésotérique que le catéchisme des « bons pères » enseignants ; cette philosophie servira de prétexte éthique à la colonisation brutale, en particulier de l’Algérie.

par Sempé.

Sempé satirique

Cette Une assez ancienne du “Punch” par Sempé prouve qu’il a aussi fait quelques dessins satiriques, avant de se contenter, avec l’âge et le succès, de se faire le miroir d’une époque un peu transparente.

Caricatures fraîches par Kurt (“Nord-Littoral”), El Diablo (“Twitter”), Morten Morland (“The Times”) & Zombi (“Zébra”) :

par Kurt.

par El Diablo.

par Morten Morland.

par Zombi.

Le fanzine du mois de Février est paru !