REVUE DE PRESSE BD & CARICATURE ZEBRA N°107

25 Février 2024

Sac de noeuds

Le succès de « L’Histoire de Jérusalem » (200.000 ex. vendus), par Vincent Lemire et Christophe Gaultier (Eds. Les Arènes-BD) n’est pas beaucoup moins surprenant que le succès de la BD de vulgarisation de la technologie nucléaire par Blain et Jancovici, best-seller de l’année 2023.

L’engouement pour « L’Histoire de Jérusalem » répond-il à une curiosité dans le domaine de l’histoire religieuse, mal comblée par l’école ? L’histoire du XXe siècle occupe, il est vrai, dans les programmes scolaires, une part très importante, qui contraint à un survol de tout le reste.

Ces succès commerciaux ne peuvent qu’inciter les éditeurs à multiplier les ouvrages de vulgarisation scientifique, bien que les réussites dans ce domaine soient rares. Le principe même de la « vulgarisation » interroge : vulgariser la science économique, par exemple : quel intérêt de vulgariser une “science” constamment mise en échec par la réalité politique ?

Il n’est pas certain que la bande dessinée soit l’outil d’initiation idéal ; « L’Histoire de Jérusalem » est très statique, ce n’est pas vraiment une BD : le narrateur est un olivier très très très vieux, qui par définition ne bouge pas ou peu. Les illustrations servent à reposer les yeux de la lecture des cartouches. Elles incitent autant l’esprit à papillonner qu’à se concentrer.

L’ouvrage semble conçu pour des lecteurs qui voudraient faire une partie de « Trivial Pursuit » sur le judaïsme, l’islam et le christianisme. Ce qui distingue Jérusalem avant tout, c’est d’être un bled paumé, contrairement aux grandes cités qui firent la gloire des premiers empires : Alexandrie, Bagdad, Rome…

On peut déduire aussi de “L’Histoire de Jérusalem” que les questions spirituelles et les calculs politiciens sont emmêlés au point de former un sac de nœuds depuis des siècles ; mais ce n’est pas là une information très originale…

Les succès de librairie sont aussi mystérieux que les succès de cinéma.

Reportage en Russie

Peu de temps après le déclenchement de « l’opération spéciale » de V. Poutine en Ukraine, Nicolas Wild a reçu la commande d’un reportage en BD sur la société russe par une maison d’édition indienne ; il s’est donc envolé pour la Russie, légèrement inquiet de l’accueil qu’il allait recevoir dans ce pays, retombé dans la Guerre froide.

Le sentiment des Russes au lendemain de l’irruption des troupes russes en Ukraine est alors comparable à celui des Français au début de la guerre d’Algérie : l’indifférence domine, et la société de consommation suit son cours, peu perturbée par les sanctions européennes. L’aura de Poutine, à qui la plupart des Russes sont gré d’avoir restauré l’ordre public après la faillite de l’Etat soviétique à la fin du XXe siècle, est encore presque intacte. L’opposition à Poutine peut s’exprimer dans des limites là encore comparables à celles de la Ve République à ses débuts.

Il ne s’agit pas exactement d’un reportage, mais plutôt d’une succession de rencontres et d’entretiens avec des citoyens russes représentatifs, des gens de la rue ou des représentants de l’opposition qu’une « fixeuse » permet à N. Wild de rencontrer discrètement.

On peut penser que l’échec cuisant des troupes russes en Ukraine a renforcé la censure et la surveillance policière du pouvoir poutinien depuis le reportage de N. Wild… tout comme le fiasco de la guerre d’Algérie avait démultiplié l’activité de la police secrète gaulliste.

Au cours de son séjour, le bédéaste découvre que la Russie de V. Poutine entretient des relations militaires assez étroites avec l’Inde, non seulement avec la Chine ; la propagande russe est plus primaire que la propagande de l’OTAN, mais ça ne signifie pas qu’elle est inefficace. Ainsi l’hostilité à l’impérialisme américain demeure très forte, pour des raisons historiques, en Amérique du Sud.

Bien que l’on puisse regretter la forme trop superficielle de ce type de reportage (l’opinion de l’homme de la rue est très fluctuante), « A quoi pensent les Russes ? » (traduit et publié par La Boîte à Bulles) a le mérite de battre en brèche la propagande totalitaire du « choc des civilisations ».

Parisienne coincée entre un charcutier et un ivrogne dans un train de banlieue (par Daumier).

La science de Balzac

La Maison-musée de Balzac (M° Passy) est un endroit insolite. Si le XVIe arr. est aujourd’hui un ghetto bourgeois, du temps où Balzac, chef d’entreprise malheureux mais romancier à succès, s’y installa, c’était presque la campagne ; la Tour Eiffel n’oblitérait pas encore la vue plongeant sur la Seine, et le culte du Progrès n’était pas aussi consensuel.

En débit d’opinions politiques contraires, Balzac et Daumier se rejoignent pour produire un art réaliste et lucide… Les opinions politiques sont éphémères, tandis que la table de travail de Balzac de style Louis XIII tient toujours sur ses quatre pattes, malgré le poids qu’elle supporta.

Balzac est un des plus grands caricaturistes français, puisqu’il a peint la physionomie de toute une époque. Il a défié l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) par avance, et… il n’y a pas vraiment match.

L’expo. des lithographies de Daumier dans ce cadre vaut le déplacement (jusqu’au 31 mars) ; nombreux, ces portraits montrent que les Parisiens étaient déjà des Français agglutinés, une espèce de pâte humaine dont l’argent était le ferment. On sentirait presque l’odeur de Paris, tant Daumier est réaliste.

Les quelques caricaturistes contemporains invités à compléter l’expo. des caricatures de Daumier ont traité tous ou presque le même sujet : le téléphone cellulaire. Cela signifie sans doute qu’il n’y a plus de Parisiens à proprement parler ; il n’y a plus que des « citoyens du monde ». Ce nivellement presque mathématique est une tendance du monde moderne que la science de Balzac indiquait déjà.

Caricature par Mougey (Le Canard enchaîné - 21 févr.)

Laconique Mougey

Le trimestriel « Les Arts dessinés » (janv.-mars) publie un entretien avec le caricaturiste Philippe Mougey, employé notamment par le « Canard enchaîné », après avoir démissionné de « Charlie-Hebdo » en 2003 ; on aurait aimé en savoir plus sur cette démission, mais Mougey est plus laconique encore que Cabu, auprès de qui il se forma, après être passé par les Beaux-Arts… où le dessin était passé de mode.

« C’était ça ou retourner à l’usine. », répond Mougey, fils d’un ouvrier de chez Peugeot, quand on l’interroge sur la naissance de sa vocation de caricaturiste ; vu ses origines familiales, le jeune Mougey se passionnait plus pour la course automobile que pour la presse.

Mougey prétend que Cabu était fasciné par les intellectuels, parce qu'il n'avait pas obtenu le bac (?) ; pourquoi ne pas croire Cabu, plutôt, qui laissait entendre que Philippe Val était seul capable d'assurer la pérennité (économique et comptable) de "Charlie-Hebdo". Après la cabale sournoise contre Siné, ni Charb ni Tignous ne suivirent le caricaturiste diffamé… parce qu'ils croyaient que “Siné-Hebdo” serait un feu de paille.

Une autre raison de douter de la fascination de Cabu pour les "intellectuels" est qu'il n'a pas hésité à les caricaturer, soulignant notamment leur goût pour la guerre.

Centenaire de Franquin

Pour le centenaire de Franquin, “La Poste” a fait preuve d’un peu d’originalité en ne proposant pas un énième timbre à l’effigie de Gaston Lagaffe, mais un autoportrait en stakhanoviste.

Quelques caricatures fraîches par Piérick (“Fakir”), Kurt (“Nord-Littoral”), Goubelle (“Urtikan”) & Zombi (“Zébra”) :

par Piérick.

par Kurt.

par Goubelle.

par Zombi.