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REVUE DE PRESSE BD & CARICATURE ZEBRA N°112
5 Mai 2024
Illustration par Dubout pour le “Knock” de Jules Romains.
Knock frappe fort !
Les éditions Gallimard proposent une édition « collector » de « Knock », pièce de Jules Romains jouée pour la première fois en 1923 ; cette édition comprend un cahier d’illustrations et une préface d’Annie Angremy, mais le format de poche ne fait pas tellement honneur aux illustrations de Dubout. Bien que la pièce soit associée à l’acteur Louis Jouvet, elle fut reprise avec succès par Michel Serrault et Fabrice Luchini.
La préfacière nous apprend que Jules Romains, Louis Farigoule de son vrai nom -néanmoins natif de Montmartre-, fut le premier étonné du succès public international de sa petite pièce. Car « Knock » se présente à première vue comme une œuvre modeste, néanmoins très bien accueillie par la critique lors de sa parution. La pièce est de plus sans aucun ressort sentimental.
La réaction outrée de certains médecins, tout comme le succès populaire de la pièce, évoque irrésistiblement Molière, comme à chaque fois que l’ordre moral est, en France, visé par la satire ; les médecins de Vichy parvinrent même à faire interdire la pièce, qui devait y être jouée au casino de la ville.
On a tendance parfois à réduire Molière à la caricature du médecin usant de clystères et de saignées ; mais s’il caricature les médecins à côté des dévots, c’est en conscience des liens étroits entre la médecine et la religion. Le triomphe de la psychanalyse au XXe siècle en est une illustration récente, malgré les efforts de la corporation des psychiatres pour contester à la psychanalyse le statut de science positive.
Molière souligne dans « Le Médecin malgré lui » (1666) que le brave bourgeois s’en remet au médecin avec la même confiance que le dévot accorde au prêtre ; il y a beaucoup, dans le prestige contemporain du médecin, de l’ancien prestige du prêtre, désormais réduit à un rôle plus folklorique (du moins en Europe). D’ailleurs le médecin ne baragouine-t-il pas le latin comme le curé ?
La médecine est-elle le nouvel opium des peuples sécularisés ? Jules Romains incite à se poser la question, d’une façon qui fut perçue comme subversive dans les années 1920. Le Dr Knock est plus psychologue que médecin, dans la mesure où il fait preuve d’une meilleure compréhension de l’âme humaine que celle du Dr Parpalaid, brave praticien dont il a racheté la clientèle famélique. Knock va introduire dans le canton de St-Maurice, avec l’aide de l’instituteur et du pharmacien, ces deux assesseurs de la nouvelle Foi, un véritable fanatisme à se soigner.
Déjà Sganarelle, contraint par sa femme de s’improviser médecin, avait pris conscience du pouvoir des mots scientifiques ou pseudo-scientifiques, qui, combiné avec le désarroi du malade ou ses proches, ouvre un boulevard au charlatanisme. La pièce de J. Romains se situe bien dans le prolongement de l’étude psychologique de Molière, avec cette médecine préventive de Knock qui consiste à mettre tout le village en quarantaine.
J. Romains avait-il prévu le grand confinement de 2020 ? On en jugera d’après ce dialogue entre le Dr Parpalaid et son successeur :
Dr PARPALAID : Vous ne pensez qu’à la médecine… Mais le reste ? Ne craignez-vous pas qu’en généralisant l’application de vos méthodes, on n’amène un certain ralentissement des autres activités sociales dont plusieurs sont, malgré tout, intéressantes ?
Dr KNOCK : ça ne me regarde pas. Moi je fais de la médecine.
Caricature (peu prémonitoire) par Caran d’Ache.
Caran d’Ache sort de l’ombre
A. Sausverd présente sur son site Töpfferiana la première monographie dédiée au caricaturiste Emmanuel Poiré, alias Caran d’Ache (1858-1909), par Luc-Michel Herlé : “Son succès au début des années 1880 est fulgurant, et il devient rapidement un personnage incontournable de la vie artistique et mondaine de la fin de siècle, même s’il tient à cultiver la discrétion”.
Compte tenu de la carrière exceptionnelle de Caran d’Ache, fils d’un immigré russe, l’ouvrage s’est fait attendre : l’antidreyfusisme de Caran d’Ache explique cet oubli. Le romancier Jules Verne ou le peintre Degas furent aussi dans le mauvais camp, mais leur production artistique est plus neutre.
Caran d’Ache et Forain, cofondateurs d’une feuille antisémite, étaient patriotes : pour cette raison leur antisémitisme se doublait d’un sentiment germanophobe. Pour la raison inverse, comme Dreyfus était un représentant du patriotisme en képi, certains caricaturistes ou journalistes de la presse anarchisante refusèrent de prendre sa défense (A. Jarry, allergique comme pas deux à ce qui porte un uniforme).
par Chappatte (“Der Spiegel”)
Un pastiche par Chappatte
L’Affaire Dreyfus révéla les fractures de la société française, à peu de distance de la Grande guerre, bien plus qu’elle ne les provoqua.
L’un des caricatures les plus neutres de Caran d’Ache a largement été diffusée dans les manuels scolaires d’histoire, car elle illustre mieux qu’un long discours l’embrasement idéologique déclenché par « l’Affaire », qui n’épargna pas les milieux artistiques.
Le caricaturiste Patrick Chappatte l’a pastichée dans l’hebdo allemand « Der Spiegel » (28 mars), en l’adaptant aux circonstances du conflit entre Israël et le Hamas, conflit qui a d’ores et déjà fait plusieurs dizaines de milliers de victimes et se situe dans un climat de tension maximum entre le bloc russe et le bloc nord-américain.
par Bruce MacKinnon.
L’IA a bon dos
Le lauréat du concours international de caricature décerné par une association canadienne de défense de la liberté de la presse sur le thème de l’intelligence artificielle est Bruce McKinnon, auteur du dessin ci-dessus et lui-même Canadien (Halifax).
Les auteurs de bande dessinée savent bien que leurs droits ne sont pas menacés par l’IA, mais par les éditeurs de bande dessinée, qui en appliquant à la bande dessinée des méthodes industrielles, en ont fait un produit plus standardisé encore qu’elle n’était.
Plus condamnables que les industriels eux-mêmes, faisait remarquer Hannah Arendt, les intellectuels qui s’efforcent d’ennoblir la culture de masse.
Caricatures fraîches par Delestre (“Facebook”), Besse (“Marianne”), Biche (“Charlie-Hebdo”), & Zombi (“Zébra”):
par Delestre.
par Besse.
par Biche.
par Zombi.