REVUE DE PRESSE BD & CARICATURE ZEBRA N°110

7 Avril 2024

“Marine Terrace”, aquarelle par Victor Hugo.

Violon d’Ingres

Cette aquarelle de la main de Victor Hugo a rejoint cet hiver les collections du Louvre ; l’aquarelle était un peu plus qu’une marotte pour le poète : on voit qu’il maîtrisait cette technique légère, prisée aussi par Delacroix comme aide-mémoire lors de ses voyages (la photo en couleurs n’avait pas encore été inventée). Hugo ajoute de l’encre, en tire des effets dramatiques ; il peint des décors de théâtre néo-gothique.

Dans cette aquarelle offerte par V. Hugo à l’actrice Juliette Drouet, sa maîtresse et muse, sont représentées les initiales des deux amants, prises dans un entrelacs mi-végétal, mi-animal (on devine le corps d’un serpent), en surplomb de « Marine Terrace », la demeure aplatie plutôt laide, mais au ras des flots, qui abrita le poète et sa famille lors de son exil à Jersey (de 1852 à 1855).

Juliette Drouet rejoindra les Hugo à Jersey en 1854, puis les accompagnera ensuite à Guernesey ; la liaison au (très) long cours de l’actrice et du poète, alimentée par les lettres quasi-quotidiennes de Juliette, auxquelles Victor Hugo répondait quelquefois, avait débuté en 1833.

Portrait anonyme de Th. Nashe enchaîné (XVIe s.)

Inoubliable Thomas Nashe

Tous les auteurs satiriques et les caricaturistes devraient avoir un portait de Thomas Nashe (1567-1601) sur leur bureau. Il faut s’imaginer cet humoriste anglais précurseur comme un mélange de Rabelais et d’Alfred Jarry, mâtiné de Cervantès. Son seul ouvrage traduit en français, “Le Voyageur infortuné”, est un roman picaresque, mais Nashe écrivit aussi des pamphlets qui le contraignirent à l’exil, des poèmes, des chansons, des pièces de théâtre en collaboration avec Christophe Marlowe, Ben Jonson et, bien sûr, Shakespeare.

En fait de portrait dessiné ne subsiste plus guère, à vrai dire, que le fruste bois gravé ci-dessus ; ce portrait a quand même le mérite d’indiquer que le métier d’auteur satirique n’est pas de tout repos. Il est vrai que la Renaissance, comme toutes les époques fertiles, fut un temps où l’on n’avait guère le temps de se regarder vivre et où l’on passait de vie à trépas en un éclair, ensemençant le futur.

Grâce à Shakespeare, son collaborateur et ami, il est resté beaucoup mieux qu’un hommage funèbre poli, puisque Th. Nashe apparaît sous divers masques dans plusieurs pièces du “grand Will”, et pas des moindres ! Qui ne voudrait, comme Nashe, revivre dans le théâtre de Shakespeare jusqu’à la fin des temps ? Ainsi Nashe n’est autre que le bouffon Feste dans « La Nuit des Rois » (« Twelfth Night or What you will » - vers 1601), « bouffon » au sens où Molière, Daumier, Cabu, bien d’autres le seront ; Nashe alias Feste donne même dans “La Nuit” le plus gros poisson d’avril (« red herring ») jamais donné à un public de théâtre.

On sait que Shakespeare est une abeille, qui butine le nectar des meilleurs poètes pour fabriquer sa propre gelée royale : il doit beaucoup à Nashe pour ce qui est de l’humour noir, le plus concentré. Pas ingrat, le prince des poètes a mis dans la bouche de la pétillante Viola - une des plus belles bouches de son théâtre (quoi qu’elle soit un peu nunuche)- l’éloge de Nashe et de son métier de caricaturiste, que nous reproduisons ci-dessous :

“Voilà quelqu’un d’assez d’esprit pour faire un fou,

Rôle qui ne va pas, bien joué, sans sagesse :

Le fou doit observer l’humeur de ceux qu’il raille,

La qualité de son monde, les circonstances, et, comme le faucon sauvage,

Fondre sur tout plumage

Qui lui passe devant les yeux. C’est là un art aussi méticuleux que le métier de sage :

Car folie sagement maniée a son prix,

Mais sagesse en folie abdique tout esprit.”

VIOLA

(“This fellow is wise enough to play the fool, And to do that well craves a kind of wit; He must observe their mood on whom he jests, The quality of persons, and the time; Not, like the haggard, check at every feather To comes before his eye. This is a practice, As full of labour as a wise man’s art; For folly that he wisely shows is fit; But wise men, folly-fall’n, quite taint their wit.” Viola)

Bouffons ou caricaturistes, n’oubliez pas de prier Th. Nashe votre saint patron !

Le général Massu, vu par F. Boucq.

Galons de la BD

La sélection 2024 des « Galons de la bande dessinée », regroupement de prix dotés par le ministère de la Défense de 9000 euros, est très éclectique puisqu’un titre évoquant le drame de la shoah côtoie le dernier album des aventures rocambolesques de « Blake & Mortimer » ou des récits d’événements plus récents en Indochine, naguère sous tutelle française.

Le jury refera-t-il cette année le choix audacieux de l’année dernière, d’une BD piétinant allègrement le roman national, au moins dans sa version gaulliste ? « Un Général, des Généraux », montrait de surcroît l’état-major de l’armée française sous le jour le moins favorable, comme une bande de crétins prédisposés au coup d’Etat, tout comme les états-majors africains instruits par la France.

Seul F. Boucq s’était rendu à la remise des « Galons » en 2023, tandis que le scénariste Nicolas Juncker avait préféré s’abstenir.

par F. Kupka

Journalisme et journalisme

La satire du journalisme et des journalistes ne date pas de « Hara-Kiri » et de sa Une célèbre imaginée par le Pr Choron (« Bal tragique à Colombey ») ; tout comme l’antiparlementarisme, que certains historiens peu indépendants présentent aujourd’hui comme un thème d’extrême-droite, l’antijournalisme est omniprésent dans la presse satirique de la fin du XIXe siècle (« Le Canard Sauvage », « Le Chat Noir », « L’Assiette au Beurre »…) ; la caricature ci-dessus, par F. Kupka, est loin d’être un exemple isolé (parue dans « Le Canard Sauvage » en 1903).

Bis repetita

On ne compte plus les caricatures de B. Netanyahou censurées ; cette dernière, parue dans « La Presse » québécoise la semaine dernière représente le chef de l’Etat israélien en vampire ; la direction du titre à formulé des excuses, tout en niant l’intention antisémite (mais faisant ainsi passer son caricaturiste pour, dans le meilleur des cas, un imbécile).

On se souvient que cela avait commencé bien avant le conflit actuel, lorsque le « New York-Times » avait censuré une caricature représentant B. Netanyahou en toutou de Donald Trump.

Le plus grotesque, dans cette affaire, est que la presse israélienne n’hésite pas, elle, à diffuser cette caricature (le « Jerusalem Post », par exemple), pour démontrer, preuve à l’appui, que la société canadienne est de plus en plus antisémite.

Caricatures fraîches par Bestie (“Punch”), LB (“Siné-Mensuel”), Mric (“Marianne”) & Zombi (“Zébra”) :

par Bestie

par LB

par Zombi.

Le n° d’avril du fanzine est paru !