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REVUE DE PRESSE BD & CARICATURE ZEBRA N°135

Enfer chinois
L’action de cette BD par A. Ducoudray (scénario) et F. Druart (dessin) (Dupuis, 2024) se déroule dans la Chine contemporaine ; un chauffeur routier, livreur de charbon, se fait voler son camion-benne et se retrouve dans l’impossibilité de subvenir aux besoins de sa famille.
La trame est simple, pour ne pas dire linéaire, mais cette BD nous transporte dans l’un des cercles de l’enfer où la BD s’aventure rarement : la Chine et ses centaines de millions de travailleurs discrets qui aspirent au paradis.

Allégorie du Feu (par Arcimboldo)
Encore Erostrate !
Un lecteur nous rappelle que Jean-Paul Sartre, dans le recueil de nouvelles intitulé « Le Mur » (1939) a donné avant Martin Veyron sa version de l’histoire d’Erostrate, ce jeune Athénien qui, au IVe siècle avant notre ère, incendia le temple d’Artémis à Ephèse afin de graver son nom à jamais dans l’Histoire.
Sartre a transposé ce fait divers mémorable dans Paris, au XXe siècle ; son Erostrate projette un assassinat spectaculaire de sang-froid, en plein boulevard Quinet (Paris XIVe ) ; auparavant il expédie à une centaine d’écrivains une lettre pour leur expliquer que son geste est celui d’un homme qui n’a pas la manie d’aimer l’humanité, un point c’est tout. Il espère ainsi s’assurer la célébrité ; en 2025, cet antihéros expédierait un enregistrement vidéo aux chaînes d’infos.
Sartre s’est-il inspiré de ces tueurs en série dont le seul mobile semble la vanité, qui assassinent pour faire la Une des journaux télévisés ? L’être humain ne redoute pas tant la mort que le néant, l’effacement complet des traces de son existence. Un multimillionnaire comme Elon Musk échangerait probablement sa fortune contre une ligne dans un livre d’histoire, mais on ne peut pas tout acheter.
S’en prendre à l’une des sept merveilles du monde était plus malin de la part d’Erostrate ; la vie humaine ne vaut pas grand-chose en comparaison des œuvres d’art. Vincenzo Perrugia s’assura en dérobant la Joconde au musée du Louvre une gloire que bien des tueurs en série peuvent lui envier ; et il n’a même pas brûlé la Joconde !

Comique agricole
Le caricaturiste Bouzard a choisi un pseudonyme qui le prédestinait à se spécialiser dans l’humour campagnard. Toutes les situations cocasses ou presque de « Les Vacances chez Pépé-Mémé » (éd. Fluide-Glacial, 2025), les connaissent déjà ceux qui, enfants, ont passé des vacances chez leurs grands-parents dans les Deux-Sèvres, comme l’auteur, ou dans l’un des nombreux départements plus ou moins vidés par l’exode rural ; les humoristes originaires du Maghreb, qui retournent au « bled » l’été, ont de même su tirer parti pour leurs sketchs du choc des cultures entre le monde rural et la culture citadine.
Gustave Flaubert était assez campagnard pour se moquer des Parisiens venant humer en Normandie, le temps d’un week-end, la bonne odeur du purin (remplacé depuis par des épandages moins écologiques).
Bouzard compense le manque d’originalité par l’efficacité de son dessin et de ses gags. Il souligne que le choc des cultures se situe au niveau du langage et du vocabulaire : le langage cru de la campagne s’oppose au langage urbain, résultat d’une longue pasteurisation.
Dans un genre plus subtil mais néanmoins humoristique, le romancier et critique d’art J.-K. Huysmans publia « En Rade » un roman pionnier (1887) sur la fracture entre la province rurale et la France urbanisée.

Paysage normand peint sur tablette numérique par D. Hockney
Hockney technophile
Le peintre anglais exposé à la Fondation Vuitton à Paris est un précurseur de l’usage de l’intelligence artificielle, qui peint depuis quelques années à l’aide d’une tablette graphique des paysages aux couleurs acidulées.
Cet artiste technophile est d’ailleurs l’auteur d’une thèse sur l’usage de la chambre obscure par les peintres du XVIe et XVIIe siècle. Cette thèse n’a pas convaincu grand monde car le procédé technique réduit les possibilités de l’artiste. Le grand art, en peinture comme en littérature, se situe par-delà le procédé.
Le portrait photographique, par exemple, impose des contraintes supplémentaires au portraitiste. Baudelaire a beau jeu d’en faire le symbole du nivellement démocratique, bien avant l’usage agaçant des “selfies”. Les meilleurs portraitistes, après l’invention du procédé photographique, sont ceux qui ne se sont pas laissé influencer par la photographie. Disposer d’un appareil photo n’aurait pas facilité la tâche d’Ingres quand il fit le portrait de Monsieur Bertin – un vrai casse-tête. Les portraits photographiques de Nadar sont plutôt réussis, mais Nadar fut caricaturiste avant d’être photographe.
Le XXe siècle a gommé dans l’esprit du public la différence entre la production industrielle et la production artistique ; le terme de « performance artistique » est emprunté à la technologie. La performance du peintre Albert Dürer consiste à peindre des panneaux de chêne qui, « si on en prend un minimum soin » (Dürer dixit), peuvent se conserver un demi-millénaire. Son art est ailleurs.
La fondation Louis Vuitton offre, en bonus, l’une des plus belles vues sur les frondaisons verdoyantes d’Ile-de-France.

Iago, par Brad Holland.
Illustrer Shakespeare
Eugène Delacroix a illustré quelques pièces de Shakespeare (surtout « Hamlet ») ; rien d’étonnant à ce que ce peintre d’Histoire ait trouvé dans les tragédies de Sh. une source d’inspiration. Même les pièces de Shakespeare qui ont l’apparence de contes de fées ou de comédies, comme « Roméo & Juliette », ont un propos historique ; à l’arrière-plan de la scène de fascination réciproque entre les deux ados fameux de Vérone, on peut observer la rivalité entre l’autorité religieuse (le conseiller religieux des ados) et l’autorité civile (les parents des ados) dans le domaine des mœurs. Cette question sociale, capitale du temps de Shakespeare, ne l’est pas moins aujourd’hui – il n’est que de voir la guerre des mots que se livrent le parti démocrate et le parti républicain aux Etats-Unis sur le terrain des moeurs.
Delacroix est aussi l’une des têtes de pont du courant romantique qui a introduit le théâtre de Shakespeare en France, introduction freinée non seulement par une Académie française arc-boutée sur une idéologie du théâtre classique (raillé par Sh. à l’intérieur même de son théâtre), mais aussi (ce qui est moins connu) par les Lumières (Rousseau et même Voltaire).
L’intérêt de l’illustrateur américain autodidacte Brad Holland pour les pièces de Shakespeare remonte à l’enfance. Un éditeur lui commanda quelques illustrations de couverture pour certaines d’entre elles (dont « Othello », ci-dessus). La galerie Martine Grossiaux (Paris VIIe ) consacre actuellement (jusqu’en septembre) une rétrospective à l’œuvre de cet illustrateur, qui s’est vu décerner plusieurs prix prestigieux au cours de sa longue carrière. Le site internet de l’artiste (qui vient de mourir octogénaire il y a une quinzaine de jours) propose un large aperçu de son travail.
Caricatures fraîches par M. Schmitt (“Zébra”), Piérick (“Fakir”), Sanaga (“Facebook”), Truant (“Twitter”), MAN (“Facebook”), Rodho (“Facebook”) & Zombi (“Zébra”) :

par M. Schmitt.

par Piérick.

par Truant.

par MAN.

par Sanaga.

par Rodho.

par Zombi.
Le n° d’avril du fanzine Zébra est paru ! (pour s’abonner écrire à [email protected]) ; le numéro du mois de mars est consultable gratuitement.
