REVUE DE PRESSE BD & CARICATURE ZEBRA N°120

15 Septembre

L’art du pastiche

Le hasard des boîtes à livres fait parfois bien les choses : ce recueil de pastiches par Paul Reboux et Charles Muller vient compléter ma collection…

Le pastiche ne se moque pas seulement, c’est une véritable critique littéraire, qui exige d’avoir lu les auteurs qu’on pastiche.

Le pastiche d’« Emma Bovary » par Posy Simmonds, dont nous parlions précédemment, a demandé une vraie lecture, quand le cinéaste Claude Chabrol se contenta, adaptant le roman de Flaubert, de faire un film en costumes d’époque.

Le pastiche permet aussi de désacraliser la littérature. Shakespeare est d’abord un critique littéraire, dont plusieurs pièces sont entièrement des pastiches, visant un public lettré, qui brocardent le genre épique encore en vogue à la fin du XVIe siècle dans l’aristocratie (« Troïlus et Cressida », « Cymbeline »). Sh. pratique d’ailleurs le pastiche dès le début de sa carrière ; dans « Peine d’amour perdues », il a pastiché le genre du « romancero » espagnol (romance), spécialité du prolifique Lope de Vega, son exact contemporain (reconnaissable derrière le personnage d’Armado).

Sh. souligne l’étroitesse de son registre : « (…) Qui vint ? Le roi. Pourquoi vint-il ? Pour voir. Pourquoi vit-il ? Pour vaincre. Vers qui vint-il ? Vers la mendiante. Que vit-il ? La mendiante ? Qui vainquit-il ? La mendiante. Conclusion : victoire. Dans quel camp ? Celui du roi. Le captif est enrichi. Dans quel camp ? Celui de la mendiante. La catastrophe est nuptiale : dans quel camp ? Celui du roi ? Non, les deux en un, ou un seul en deux. Je suis le roi, telle est la teneur de ma comparaison. (…) » (acte IV, sc. 1).

Le romancero était pourtant appelé à un bel avenir, malgré ses limites, et pas seulement en Espagne. Le théâtre de Corneille en reprend les thèmes guerrier et amoureux. Sh. a dynamité l’Académie française et son idée du classicisme… avant qu’ils soient nés.

Reboux & Muller soulignent comiquement dans « Deux nouveaux malheurs de Sophie » le sadisme latent des récits de la Comtesse de Ségur, sadisme qui est peut-être l’explication de son succès phénoménal auprès du jeune public ? Parents, méfiez-vous des pédagogues ! R. Kipling est bien plus brutal que la Comtesse, mais la version pasteurisée des studios Disney a pris le pas sur le texte de Kipling.

De Marcel Proust, R. & M. ne manquent pas de souligner les circonvolutions, bien sûr, mais aussi le fétichisme culturel, dans : « Un mot à la hâte ».

De Victor Hugo, R. & M. soulignent le goût pour les énumérations et l’accouplement bestial dans : « Colos-Le-Nain ».

De Chateaubriand, R. & M. soulignent l’exotisme quasi- hollywoodien dans « Troulala ». Est-ce que le génie du judéo-christianisme, ce ne serait pas le cinéma ?

Avec Flaubert, R. & M. trichent un peu en pastichant une lettre ; dans sa correspondance, le romancier normand ne retient pas ses humeurs et renonce à son art. La correspondance est à Flaubert ce que les « Fusées » sont à Baudelaire : un banc d’essai.

Le « Discours sur la société future », attribué par R. & M. à Jean Jaurès, satirise le discours politique républicain, conçu pour tenir en haleine les foules.

Bref, Reboux & Muller ne respectent rien que leurs lecteurs.

Vice-versa

Frédéric Beigbeder, critique littéraire pour “Le Figaro magazine” écrit cette semaine que “sans l’attentat contre “Charlie-Hebdo”, Lucie Castets aurait probablement été nommée Première ministre par Macron”.

F. Beigbeder veut dire que l’attentat contre “Charlie-Hebdo” a fracturé la gauche en deux : une gauche “Charlie”, d’une part, et de l’autre une gauche moins dupe de la manoeuvre de récupération du PS de François Hollande et Anne Hidalgo derrière l’opération “Charlie”.

En France il faut lire des journaux de droite pour comprendre la tactique de gauche, et vice-versa.

Canardage

Dans son édition du 11 septembre, « Le Canard enchaîné » accuse le maire lepéniste de Perpignan, Louis Aliot, de « basse cuisine », pour avoir refusé de remettre le prix du jeune reporter de « Visa pour l’Image » au photographe palestinien Loay Ayyoub. Motif invoqué par l’édile : le jeune reporter servirait la soupe au Hamas.

« Le Canard » est bien placé pour savoir que la propagande et la photographie ont toujours fait bon ménage, puisque cet hebdo ne publie que des caricatures. Bon, il est vrai que la caricature a parfois aussi été utilisée pour abuser l’opinion publique, mais elle est quand même beaucoup moins efficace que “Paris-Match”.

« Le Canard » ne dit pas, hélas, à partir de quand le sionisme mérite une étoile au guide Michelin.

Chiffon, pas torchon

Le numéro d’automne de « Le Chiffon », « Le Journal de Paname et de sa banlieue » (4 euros), rend hommage sur deux pleines pages de bande dessinée à Gabriel Davioud (1824-1881) ; les provinciaux ignorent peut-être qu’il conçut le mobilier public parisien, en particulier les bancs publics, semés dans tout Paris. Il y a même un modèle « Davioud » ; il est double et permet d’accueillir jusqu’à six personnes… ou deux dormeurs.

Mais le modèle « gondole » est le modèle préféré des clochards, qui peuvent s’y lover. C’est le modèle le plus menacé de disparaître, car Paris accueille de moins en moins volontiers les miséreux, bohêmes, alcooliques, drogués (les prostituées se tiennent debout), qui ont tendance à effrayer les touristes et à nuire ainsi au commerce. La solution ne serait-elle pas de réserver aux touristes un arrondissement spécial et de payer quelques figurants pour jouer les Parisiens typiques ?

Plus sérieusement, « Le Chiffon » consacre un dossier au projet pharaonique « Axe-Seine », de réseau de canaux entre Paris et Rouen, afin de décupler la capacité de transport de la Seine et transformer Paris et la Normandie en une sorte de Singapour, en saccageant tout sur son passage.

« Pour les aménageurs du XXIe siècle, la Seine n’est plus un fleuve mais un « Axe ». Entre Bazoches-Les-Bray et Nogent-sur-Marne, les méandres de la Seine seront « rectifiés ». Le flux tuera la bergitude. »

Ce dossier très complet sur la navigation fluviale d’hier et d’aujourd’hui fournit de bonnes raisons pour n’être pas écologiste : le projet « Axe-Seine » est, comme il se doit, dopé aux arguments écologiques ; tous les collégiens et lycéens de l’académie de Normandie bouffent déjà de l’Axe Seine tant et plus en cours de géographie, de maths, d’économie…

L’impulsion de ce type de projet gigantesque est la vanité politique et l’absence d’imagination : il s’agit ici d’imiter en les recopiant Anvers et Rotterdam.

Un bémol tout de même : “Le Chiffon” manque furieusement de caricatures.

BD indépendante

Les maisons d’édition indépendantes pallient heureusement le manque d’imagination des gros éditeurs qui passent leur temps à produire des suites aux séries des années 1970, d’Astérix à Corto Maltese en passant par Blake & Mortimer, proposant pour ce faire à des scénaristes des salaires qu’ils ne peuvent pas refuser.

La multiplication des petits festivals de BD indépendante (la plus a le mérite de montrer qu’il y a bande dessinée et bande dessinée.

Ci-dessus l’affiche du festival parisien “Formula Bula”, qui se tient le week-end prochain au quartier latin.

Caricatures fraîches par Morten Morland (“The Spectator”), Lefred-Thouron (“Le Canard Enchaîné”), Gros (“L’Humanité”) & Zombi (“Zébra”) :

par Morten Morland.

par Lefred-Thouron.

par Gros.

par Zombi.

Le fanzine Zébra du mois de septembre est paru !